Chant de l’île (extraits)
— aux enfants de Taiwan
Cette île s’appelle Taiwan
C’est la palette d’un peintre :
Des langues multiformes
émettent des sonorités multicolores
qui se fondent dans la belle île chamarrée.
On y voit des femmes sur la plage
lâcher leurs cheveux comme des vagues,
danser et chanter
le merveilleux valacingi a ganam.
Belles sonorités, belle île,
belles couleurs, belle peinture.
Délions nos langues nouées
Peignons de voyelles colorées
Parlons Minnan, Hakka
les dialectes du Shandong, du Shanxi, du Hebei...
Atayal, Puyuma,
Rukai, Tsou, Thao, Saisiyat, Paiwan...
Belles sonorités, belle île,
Belle Taiwan, beaux parlers.
Sur l’île
Une mouche vole sous le nombril de la déesse vers du papier tue-mouches poisseux.
Comme le jour martèle doucement la nuit
de son outil néolithique encore intact, notre cher ancêtre doucement tambourine [1]
Nous ne mourons pas, nous ne faisons que vieillir
nous ne vieillissons pas, nous changeons seulement de plumage
comme la mer de couverture
dans un berceau de pierre à la fois antique et jeune [2]
Sa canne à pêche, arc-en-ciel à sept couleurs s’incline doucement du ciel
pour pêcher tous les rêves flottants
Ah ! Sa canne à pêche est un arc à sept couleurs
pointée vers tous les poissons noirs et blancs envolés du subconscient [3]
Trop long est le jour, trop brève la nuit
trop lointaine la vallée de la mort
Chères sœurs, laissez aux hommes
les champs de taros, laissez-nous la sueur
coiffez vos têtes de pioches comme de cornes
et devenez chèvres à l’ombre des arbres
Tu es chèvre,
moi aussi
loin des hommes, loin du labeur,
folâtrons à l’ombre des arbres [4]
Chant d’une somnambule
Je dors sans me savoir endormie
Je vis sans savoir que la vie est un rêve
Je parcours la terre les yeux fermés sans savoir
que je marche sur une coquille d’œuf
de toutes parts les précipices glissants du rêve
me séduisent jusqu’à me réduire en miettes
Je m’approche du chevet de mon amant,
mets du dentifrice sur une brosse à dents pour lustrer ses chaussures
préparant notre voyage d’alliance
il dort sans savoir comme notre longue nuit est pleine de rêves
Je m’approche de la fenêtre de ma rivale
tire le rideau, tranche la gorge de
son coq, tords le ressort de son réveil
en lui souhaitant sommeil éternel et nuit infinie
Je vis sans vouloir vivre en paix
Je dors sans vouloir m’assoupir
Cartes postales pour Messiaen
1
Nous sommes tous suspendus
Larmes
Étoiles
Arcs-en-ciel
Oiseaux
Au-dessus des abysses du temps
chantant
chantant
Un jardin de tristesse dans les airs
2
Nous courons sur le globe terrestre
j’habite l’ancienne Asie
vous habitez la lointaine Europe
quelqu’un retourne la planète
nous perdons pied, chutons ensemble
dans l’océan de mélancolie
3
L’océan tourmenté mais limpide
respire
respire
respire
aime
Exercices de haut vol
— d’après César Vallejo
“là-bas, nous avons dormi ensemble tant de nuits dans ce lieu” [5]
Là-bas
depuis une telle hauteur nous nous retournons vers la terre
ton souffle surplombe le mien
nous
marchons contre le vent, avec les étoiles
qui font l’école buissonnière
avons dormi ensemble
aux longues et sombres époques préhistorique et antique et nous sommes soudain réveillés
à la lumière de la modernité
tant de
toisons dorées moites et brillantes, et, appelé par les lèvres de toute la Voie Lactée,
ton nom
nuits
médailles, mots
estampés, imprimés
dans ce
(oui, ce) gigantesque entrepôt avec le temps pour pilier, où secrètement s’amoncellent
tonnerre, éclairs, nuages et pluie
lieu
Souvenir (chant en taïwanais)
Face aux fleurs du printemps je songe à elle.
Son souvenir est comme une goutte de rosée : au souffle du vent
je le sens si léger.
Prises dans mon rêve sont les ombres denses et noires des arbres.
Ces rêves de jeunesse si insouciants, quand reviendront-ils ?
Je songe à elle. Je la vois en rêve.
Les vieux jours volent vers moi comme des ombres.
(Les vieux jours volent vers moi comme des ombres.)
Ô ma bien-aimée, où es-tu ? Pourquoi ne puis-je te retrouver ?
Face aux fleurs du printemps je songe à elle.
Son souvenir est comme une goutte de rosée : au souffle du vent
je le sens si léger.
Prises dans mon rêve sont les ombres denses et noires des arbres.
Ô ma bien-aimée, quand nous reverrons-nous ?