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Avec les technologies numériques se sont développés aujourd’hui des instruments, des machines à créer du son ou à le transformer en concert, bref, tout un arsenal que les compositeurs et les improvisateurs utilisent avec gourmandise.
Mais, pour un compositeur, comment noter ce que l’interprète doit faire, et sur quelle partition ?
Et que dire d’une partition pour jouer d’un instrument que l’histoire ne retiendra peut être pas, vu l’évolution très rapide de la technologie ?
Que dire d’une écriture que l’on voudrait pérenne dans ce contexte qui ne l’est sans doute pas ?
Xavier Garcia, compositeur et improvisateur, donne son point de vue sur ces questions dans un entretien avec Delphine Dulong de l’association Mômeludies. [1]
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La musique numérique et son écriture : la partition comme moyen de transmission ?
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Entretien avec Xavier Garcia
Delphine Dulong : — Plusieurs de vos pièces pour téléphones portables et applications Smartfaust, dont Smartmômes et Belzebuth, éditées chez Mômeludies, ne sont pas des partitions musicales « habituelles » qui présenteraient le déroulement horizontal d’une temporalité sonore à l’aide de symboles précis ; ce sont plutôt des scénarios décrivant une succession de gestes. Jean Geoffroy [2], que vous connaissez bien, et avec qui j’ai eu l’occasion de parler de vos pièces, s’interrogeait sur ce choix d’écriture. Il m’a suggéré de vous contacter pour savoir si l’idée de travailler sur un autre « codage » des gestes vous semblait possible, à la manière de Light music, de Thierry de Mey [3] par exemple.
Vous m’avez donc accordé un long entretien et notre discussion sur l’écriture a rapidement englobé plusieurs notions toutes liées les unes aux autres : le rôle du compositeur, notre rapport à l’œuvre, la transmission de la musique numérique, le concert aujourd’hui…
L’idée d’un article s’est imposée naturellement pour garder trace de cet échange.
Xavier Garcia : — Avant toutes choses, je voudrais faire brièvement le point sur cette question précise de la notation de Smartmômes. Cette partition, comme Belzebuth et les trois autres pièces que j’ai « écrites » pour téléphones portables, décrit les applications à utiliser, les positions du smartphone dans l’espace (Haut, Bas, Gauche, Droite, Face, Dos) et les mouvements à effectuer. Je n’ai volontairement pas écrit les mouvements en fonction du temps (comme on pourrait l’imaginer sur un axe des X qui serait le temps), car je pense que cette notion est à réaliser par l’interprète. Dans ces pièces, l’interprète est le chef d’orchestre dont les gestes sont « imités par les joueurs de smartphone ». En effet pour répondre au cahier des charges donné (il s’agissait dans un cas d’écrire pour des collégiens, dans l’autre pour des « non musiciens » formés en quelques heures et également pour le public), il fallait évidemment qu’ils puissent jouer « sans partition » et avec très peu de répétitions. L’écriture d’une partition ne pouvait être que destinée à un « chef d’orchestre » qui dirigerait « au geste » les « smartphonistes ». (Pour Smartmômes, ce sont les enfants eux-mêmes qui se partagent ce rôle).
Je comprends bien la question posée par Jean et que vous reprenez : comment imaginer de noter plus précisément ces pièces, comment trouver un système d’écriture qui puisse permettre une vraie « transmission » ?
C’est bien sûr possible, mais par goût je ne tiens pas à préciser plus que cela la question de la durée car je le répète, le « chef d’orchestre/interprète » doit avoir une grande liberté pour rester « juste ». En tant qu’improvisateur, je considère (parce que c’est ce que je ressens quand je joue) que la gestion du temps doit rester sous la maitrise de l’interprète en fonction des circonstances, du lieu et de son acoustique. Enfin, pour moi, le débat est terriblement influencé par notre tradition occidentale de la partition écrite d’une œuvre instrumentale, et il me parait important de revenir sur le sujet.
Cette notion historique vient d’une époque où c’était le moyen le plus efficace de fixer l’œuvre. Si à l’époque de la Renaissance par exemple, les musiciens improvisaient couramment des ornementations (« diminutions »), l’évolution musicale a fait qu’à partir d’un moment — dont on peut discuter — la partition devient pratiquement l’œuvre. Il y a aussi la question du langage musical. L’œuvre de Bach par exemple peut se jouer sur à peu près n’importe quel instrument sans la dénaturer. C’est parce que le langage musical est alors tellement performant que l’essentiel de la composition peut se réduire à ce qui est écrit.
La musique de cette époque fonctionne à l’inverse des musiques contemporaines instrumentales et électroacoustiques, qui cherchent au cœur du son de nouvelles possibilités d’expression. Même si vous prenez des risques certains de vous rouler dans le mauvais goût, vous pourrez toujours jouer Le Clavier bien tempéré au synthé, par contre vous ne pourrez pas jouer les Variations pour une porte et un soupir de Pierre Henry [4] au clavecin !
Aujourd’hui, quand on travaille avec des instruments qui n’en sont pas vraiment, avec une technologie qui évolue à toute vitesse et surtout avec un langage musical qui n’est absolument plus universel mais pratiquement redéfini par chaque œuvre, quelle nécessité a-t-on de fixer sur le papier ce qui peut être transmis par des exemples sonores, des vidéos et des pdf ?
Sortons maintenant du cadre de la contrainte qui a été la mienne (écrire pour des non-musiciens, pour le public, pour des collégiens, et oublions donc les solutions trouvées pour y répondre). Imaginons que je doive écrire une pièce pour des musiciens parfaitement avertis, sachant lire toutes sortes de partitions contemporaines et parfaitement à l’aise avec la manipulation du smartphone. Les contraintes de vitesse de réalisation ayant disparu, qu’est-ce que je gagne ? La précision dans la composition, la possibilité de fixer, de décrire et donc d’écrire très précisément ce que je veux. D’accord. Admettons qu’on trouve un système de notation. Il y aura toujours un moyen d’écrire des mouvements, des changements de positions en fonction du temps. On doit pouvoir y arriver. On a donc recréé les conditions traditionnelles de la musique savante occidentale, son mode de composition et son mode de transmission.
Mais que restera-t-il de tout ça dans vingt ans, quand les iphones et les androids sur lesquels on s’extasie aujourd’hui constitueront des montagnes de déchets dont on ne saura plus quoi faire ?
Que restera-t-il de la mesure 10, page 2 jouée par l’appli « sfiter » sur un smartphone du futur, qui ne sera plus un smartphone mais un objet qu’on n’a même pas encore imaginé ?
L’instrument aura disparu. Que restera-t-il de l’écriture si l’instrument pour la réaliser est si éphémère ? Il restera sans doute le langage de programmation ayant servi à réaliser ces applications et que l’on pourra peut-être réimplanter dans d’autres appareils ? Mais cela sonnera-t-il de la même façon ? Que restera-t-il au juste de la composition ?
La question pour moi se pose pour toute la technologie aujourd’hui. Je crois qu’elle remet en question profondément notre rapport à la conservation de l’œuvre et ceci de façon assez paradoxale.
Dans un cas, le numérique nous assure une conservation quasi illimitée des œuvres, des enregistrements, des images, des sons, etc. ; dans l’autre, la technologie est tellement volatile qu’elle emportera probablement avec elle les œuvres qui y font appel. La question de la transmission d’une œuvre au sens où l’entend la tradition de la musique occidentale savante a été, je crois, bien ébranlée. Ce qui n’empêche pas d’écrire pour les dix ans qui viennent… mais peut-être faut-il limiter à quelques années notre « prétention d’immortalité » de compositeur occidental ?
Delphine Dulong : —Habituellement, un compositeur écrit une œuvre sous la forme d’une partition pour la transmettre et la pérenniser : la musique numérique, disons les pratiques numériques de la musique, conduisent donc selon vous à un changement voire un abandon de ce paradigme ?
Xavier Garcia : — Il faut éclaircir quelques notions. D’abord ce concept de musique numérique n’est pas clair du tout. Pour moi il ne veut pas dire grand-chose. Il s’agit un peu de la même ambiguïté relevée à l’époque de l’apparition de la musique électroacoustique. Pierre Schaeffer et François Bayle avaient précisé les concepts de musique acousmatique (Bayle) ou concrète (Schaeffer) en argumentant qu’il fallait définir ces musiques par leur mode d’écoute (acousmatique) ou leur mode de composition (concrète), plutôt que par leurs outils (électroacoustiques).
Pour mémoire je rappelle la confusion faite, même par les compositeurs, à propos de la musique concrète : « musique concrète » ne veut pas dire « musique qui utilise des sons concrets » (qui seraient des sons enregistrés au micro), par opposition à la musique électronique, qui utiliserait des sons électroniques (produits par des synthétiseurs). La musique concrète définit la démarche du compositeur qui part du « concret » de l’objet sonore (qui n’est pas le corps sonore) pour aller vers l’abstrait de la composition. Elle fait le chemin inverse de la musique savante occidentale qui, elle, part de l’abstrait (le langage musical et sa notation) pour aller vers le « concret » de la réalisation sonore (la réalisation par l’interprète).
Pour résumer, le terme de « musique numérique » à mon sens ne désigne rien du tout. Bien plus qu’un mode de conception, de composition ou d’écoute, le mot numérique désigne des outils, des moyens technologiques.
Ce n’est pas tant entre « numérique » et « non numérique » qu’il faut faire un distinguo, mais plutôt entre musique de sons fixés et musique live : les musiques fixées sur un support existent donc complètement en tant que telles : c’est le cas de la musique acousmatique ou concrète, qui est pérenne dans la mesure où l’on peut conserver ce support. Elle a le même statut que le cinéma par exemple. La musique « live » est le monde de toutes les musiques qui ne dépendent pas d’un support et qui donc sont jouées en direct (génération du son en temps réel, traitements numériques). Elle a le même statut que le théâtre pour rester dans la comparaison.
Nous sommes face au « paradoxe du numérique ». D’un côté le numérique apporte une certitude : celle de pérenniser les œuvres (on peut presque tout conserver aujourd’hui) ; de l’autre, le numérique désigne aussi des outils, de la technologie dont les compositeurs s’emparent pour explorer de nouveaux horizons. Cette exploration sonore va de pair avec un abandon du langage musical le plus partagé (la musique tonale, celle qui est actuellement écoutée à 99% sur la planète).
Les compositeurs, aujourd’hui, quand ils n’utilisent plus ce langage tonal, sont bien obligés de recréer un « code », quelque chose qui s’entende, se devine, se lise. Chaque pièce est un pari. De plus, quand ces œuvres utilisent de nouvelles technologies numériques, elles affrontent la nouvelle difficulté d’être soumises à une érosion extrêmement rapide. Ces nouvelles technologies qui nous excitent (les compositeurs), nous conduisent à créer une œuvre d’autant moins transmissible que les techniques sont particulières.
Et si nous acceptions qu’une musique puisse avoir un sens à une époque donnée et mourir avec la technologie qui l’a vu naître ? Cette notion de transmission par la partition avait certainement du sens à l’époque où nous n’étions pas inondés de moyens de reproduction mécanique de la musique (enregistrement des œuvres).
La reproduction, l’enregistrement ne sont-ils pas de vrais nouveaux moyens de transmettre ?
Alors bien sûr, on ne transmettra que le résultat de l’œuvre, la re-création et les nouvelles interprétations n’étant plus possibles à cause de l’évolution des technologies.
Comment fonctionne le monde musical actuel ? La plus grande part de la musique écoutée dans le monde se soucie très peu de sa transmission écrite. Elle ne l’est pas, écrite, ou peu, elle est enregistrée, puis elle restera ou non… La notion d’œuvre n’a pas grande importance ici.
Delphine Dulong : — Au fond c’est bien le cas de la danse et de l’écriture chorégraphique…
Xavier Garcia : — Tout à fait. Pourquoi vouloir conserver à tout prix ce qu’un chorégraphe redira autrement dans 50 ans… Cette fâcheuse manie de tout conserver qu’on a vu croître au 20ème siècle n’est-elle pas une façon de se « charger le sac à dos » de façon à ce qu’on ne puisse plus avancer ? Donc, la question de l’écriture des pièces que j’ai « composées » pour téléphones portables et instruments ne se pose pas plus que cela pour moi. C’est une écriture qui consiste à montrer au chef d’orchestre (qui sera lui-même imité par les « smartphonistes ») quels mouvements faire et par conséquent quel son obtenir.
Les applications Smartfaust que nous avons créées avec Christophe Lebreton [5] du Grame [6], sont toutes basées sur le principe que ce sont les mouvements imprimés au téléphone qui génèrent le son. L’écriture ici n’a pas vraiment lieu d’être plus qu’un « guide » d’actions à reproduire. De plus, j’estime que la notion « d’écriture » est à repenser. Nous avons toujours dans la tête la sacro-sainte partition écrite du compositeur. Mais dans le cas qui nous intéresse, il y a bien eu « l’écriture » avant « l’œuvre ». Le langage informatique Faust a bien été « écrit » par l’équipe de recherche du Grame, cncm, dirigée par Yann Orlarey. [7] Les applications Smartfaust ont bien été « écrites » au sens informatique du terme par Christophe Lebreton. L’écriture est donc déjà présente dans la réalisation des outils.
Delphine Dulong : — Cela change tout ! Ce n’est donc plus l’écriture en elle-même qui est remise en question, mais le langage qu’elle utilise (ici écriture informatique vs notation musicale) ?
Xavier Garcia : — Oui, ce que j’ai écrit après la réalisation des applications, ce sont des scénarios destinés à transmettre des informations musicales au chef « smartphoniste ». Encore un type d’écriture. Il ne faudrait pas voir dans ces scénarios écrits la seule trace de la partition. La partition de ces pièces pour téléphones portables, c’est l’ensemble de tout cela. Donc cette écriture, ou plutôt ces écritures, sont extrêmement liées aux technologies sur lesquelles elles s’appuient, et il ne paraît pas juste de surinvestir la partie « notation musicale », la « partition », en la considérant comme LA représentation de l’œuvre.
Delphine Dulong : — Vous m’avez dit ne pas composer pour entrer dans l’histoire. Ecrire pour ne pas forcément faire « œuvre » : quel regard portez-vous sur le métier de compositeur ?
Xavier Garcia : — Comme je disais tout à l’heure, j’émets un doute sur la pérennité d’une œuvre qui utiliserait des techniques liées à son temps, sauf si elle est fixée sur un support. Aujourd’hui, pratiquement toute la musique écoutée dans le monde est non-écrite et pérennisée par le support. Après, cette question de l’œuvre musicale transmise est à relativiser en fonction de ce que nous vivons vraiment tous les jours. On sait que les pratiques musicales de la planète ne se sont pas majoritairement transmises par l’écrit. Les traditions orales d’ailleurs sont le meilleur moyen pour que n’émerge pas un compositeur en particulier mais pour que se transmette un patrimoine commun, un langage, une pratique, une culture commune. Cette idée toute occidentale et relativement récente au regard de l’histoire, de l’œuvre musicale écrite et signée par un compositeur, n’est peut-être qu’un moment de l’histoire où l’artiste a voulu exprimer son individualité, et ce n’est peut-être pas toujours ainsi qu’il en sera. Est-ce que Jacques Brel, par exemple, est un artiste qui vise à une pérennité ? Est-ce que son écriture musicale doit être transmise sous forme de partition pour la postérité, ai-je besoin d’avoir les partitions des arrangements de ses chansons ? Le disque ne me suffit-il pas ? Brel sera éternel sans partition, certainement grâce au numérique…
Pour finir de répondre à votre question, mon expérience de compositeur balaye des champs aussi divers que la musique acousmatique [8] (donc fixée et pérenne) et l’improvisation en live (qui est pour moi une façon de composer dans l’instant). Entre ces deux bornes qui délimitent les extrêmes, on peut trouver effectivement les pièces pour téléphones portables et aussi toute l’activité de « remix » que je partage avec Guy Villerd [9] au sein du groupe de l’Arfi [10], « Actuel Remix », qui consiste à recréer une nouvelle musique en remixant des musiques contemporaines (Xenakis, Heiner Goebbels) avec de la musique techno (Richie Hawtin, Ricardo Villalobos, Thomas Schumacher). Il y a aussi la musique qu’on réalise collectivement au sein par exemple d’un groupe comme « L’Effet Vapeur ». Cette musique n’est pas destinée à être rejouée par d’autres, donc nous la fabriquons à trois et les seules partitions que nous écrivons sont pour nous. Aujourd’hui, comme « compositeur-improvisateur », je me satisfais complètement du disque. La transmission, la pérennisation de mon travail (même le plus volatil) se fait par le disque. Je n’écris pas pour la postérité, pour qu’on me rejoue, mais pour laisser quelques petites choses à écouter.
Delphine Dulong : — Quel est selon vous le rôle de l’écriture dans la structuration de la pensée ? L’acte d’écrire ne permet-il pas d’aller plus loin dans la création, par rapport au fait de créer dans l’instant, en improvisant ? Ecrire permet aussi tout simplement de ne pas oublier, de prendre du recul, d’évaluer. Que devient tout ce processus pour un compositeur qui ne peut ou ne souhaite pas utiliser l’écrit pour « fixer » ses œuvres ?
Xavier Garcia : — Ce que j’ai très modestement à dire sur la composition, l’écriture et l’improvisation se résume à ceci :
Est-ce à cause de mes débuts comme compositeur de musique électroacoustique, seul, en studio face à la bande magnétique, que j’ai pris l’habitude d’associer la composition à la fixation sur un support ?
En effet pour moi composer c’est fixer, c’est-à-dire décider que ceci est avant cela, que la forme sera celle-ci et pas une autre. C’est décider de la structuration du temps, que l’on matérialisait si bien avec le défilement de la bande. Est-ce aussi à cause de ma découverte de musiciens qui jouaient de la musique improvisée en concert (l’ARFI), que j’ai pris l’habitude d’associer le vivant du concert à l’improvisation ? C’est certainement le cas ! Quoi qu’il en soit, cette équivalence (composition = studio / improvisation = concert) me paraît tellement naturelle que même la musique occidentale écrite puis interprétée en concert me paraît être une exception ! Ma pratique musicale m’a donc amené par hasard à considérer que ce qui se compose se fixe sur le support (bande, support numérique) et que ce qui se joue en concert est soumis à l’aléa du moment (je schématise allègrement bien sûr !).
Si improviser, c’est composer dans l’instant, pourquoi vouloir tout fixer avant le concert ?
Si l’on fait cette comparaison un peu simpliste avec le langage, j’obtiens que quand je veux composer (un livre) je l’écris, et quand je veux parler à un auditoire, je fais un discours qui pour être vivant doit être autre chose que la récitation d’un texte ! (Les degrés de préparation pouvant être extrêmement variés, de la totale improvisation ou à la préparation la plus aboutie). On objectera que c’est exactement ce que font les acteurs au théâtre (comme les musiciens-interprètes au concert). Oui. Je veux juste dire que le recours à l’écriture instantanée me paraît être un acte très naturel que notre société occidentale a peut-être exagérément gommé, mais qui procure un immense plaisir. Il y a en tout cas, par le biais de l’improvisation, un rapport à la gestion du temps qui me paraît passionnant et qui permet de faire vivre en direct le discours, la musique, etc.
Delphine Dulong : — Cela explique que vos concerts (utilisant les applications Smartfaust par exemple) soient participatifs ? C’est une façon de créer un lien différent entre le public et l’œuvre ?
Xavier Garcia : — La raison pour laquelle je mise beaucoup sur l’improvisation est que pour moi, l’enjeu de ce concept Smartfaust est surtout humain et pédagogique. S’il y a transmission, elle doit s’opérer ici et maintenant entre les gens qui jouent du téléphone sur le plateau et ceux qui vont en jouer dans la salle.
Je m’explique.
La 4e pièce que j’ai « composée » (Belzebuth) fait intervenir deux groupes : celui qui a travaillé en amont avec moi sur les smartphones et le public qui lui n’a pas répété, mais qui en revanche a chargé les applis Smartfaust de façon à être prêt à jouer. Ce qui se passe à ce moment-là a une véritable force, celle de l’expérimentation immédiate du rôle de musicien. Le public joue des sons, ensemble, sous la direction d’un chef d’orchestre, il contrôle ses mouvements en écoutant ce qu’il fait, il mesure l’impact de ses gestes sur les modulations sonores… Bref il fait de la musique ! Alors, ce qui compte à ce moment-là est la justesse musicale de ce qui est construit et joué ensemble. Alors, oui il y a « œuvre » parce que le public « fait œuvre », joue, écoute, s’applique à créer ensemble des sons. Qu’y-a-t-il d’autre à écrire que de mettre en œuvre ce moment-là ?
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