12 juin 2009, Marco :
Bien. J’ai fini de lire Unplugged (ma librairie de Bourg-en-Bresse est beaucoup plus plugged que je ne l’imaginais ou alors vous avez mis le paquet sur ce lancement, leo ?), je tente donc un léger hors sujet sur ce fil en parlant du texte. (et je veillerai à laisser quelques fautes d’orthographe en évidence pour ne pas tomber sous le coup de la déjà fameuse p.55).
Dans le désordre : par rapport à M@nuscrits, je n’ai rien à dire puisque je n’avais pas lu l’état premier, mais il paraît évident que le m@nuscrit a sacrément évolué avant de devenir livre (les doctes de ces lieux confirmeront) ; mais c’est sûr, c’est un livre baigné d’internet, et pas seulement dans la thématique ; ceux qui connaissent un certain nombre de billets et de commentaires d’Alex reconnaitront différentes couches d’écriture, avec les différentes tonalités qui les accompagnent (la tirade sur les "filles-filles", entre autres) ; il n’y a pas simple "reconstitution" d’écriture plus ou moins bloguesque, mais bien intégration de différentes strates d’écritures sur blog coulées dans une fiction ; alors oui pour le coup "écrivain d’internet" a un sens indiscutable. "Nouveau contexte culturel" dites-vous, leo, certainement ; mais enfin, qu’il n’y ait rien eu de comparable en dehors de certains aspects du "dadaïsme" ou du "collège de pataphysique", là je crois que vous vous emballez un peu (c’est de bonne guerre, cela dit). Les manipulations mentales sur internet, le franchissment des fines barrières fiction/réalité ou individualité/aliénation, les mises en abymes très ludiques (comme la Revue Littéraire à la fin) et l’humour en presque perpétuel décalage, tout ça c’est quand même déjà envisagé dans la création romanesque contemporaine il me semble, Alex n’est certes pas à la traîne, mais de là à la voir en absolue pionnière, c’est un peu rapide... Pour continuer à faire l’emmerdeur de service (mais bon l’emmerdeur qui a lu le livre), il y a pas mal de détails que j’ai trouvé vraiment trop faciles, les "lettres de non-motivation" par exemple, c’est une blague qui commence à être usée, ou "je tisse ma toile dans laToile", oui bon voilà voilà... A côté de ça, le récit est particulièrement bien mené, rythme alerte, autodérision et ambition à doses respectables, oui (les quelques passages théoriques sur quoi et pourquoi et comment qu’on fait sur internet m’ont semblé plus laborieux, il y a un petit côté "le web 2.0 pour les nuls" de temps en temps) ; une sacrée vitalité ; et puis une montée en puissance dramatique, prévisible mais efficace : on part d’une situation somme toute bien convenue (la fille qui a mal aux dents et qui s’ennuie et qui traîne sans conviction sur Meetic) pour se perdre peu à peu dans des considérations nettement plus psycho-érotico-existentielles.
Evidemment, ce qui risque de produire moult commentaires acrimonieux (et conséquemment moult vives actions de modération), ce sont les nombreuses pages, dans la deuxième moitié, mettant en scène l’hispanique érudit maniaco-imposteur Carver (mais qui que ça peut bien être donc ?) et le platement déséquilibré artiste multi-fonctions Bishop (idem). Certes tout peut faire matière romanesque, y compris la colère, la rancoeur, les gens qu’on a connus d’un peu près et qu’on n’aime pas trop. Mais. Mais là, il y a clairement réglement de compte. Une pierre deux coups, dira-t-on. Joindre l’utile à l’agréable. Ouitch... L’affaire est encore toute chaude, et je trouve que ça se sent, dans l’intention, même si je reconnais que ces "épisodes" s’intègrent sans mal dans l’ensemble. Il y a vraiment dans ces pages une immédiateté, un exorcisme, une volonté de revanche, visible jusque dans les citations directes, comme autant de clins d’oeil aux copains et de tirs aux gnous. Aussi compréhensible que soit cette démarche, je la vois comme une autre facilité (et je n’aime pas trop les facilités). J’espère en tout cas que les réactions sur le texte d’Alex ne vont pas se focaliser là dessus, comme un nouvel écran de fumée, comme un nouveau jeu de rôle salopiots/victimes plus ou moins réversibles, et surtout comme un nouvel engluement dans le microcosme d’une certaine communauté d’intervenants à un certain moment sur un certain blog d’une certaine maison d’édition. (cela dit, ça donnerait à Alex une nouvelle matière, probablement haute en couleurs, pour un Unplugged Saison 2).
Les meilleurs moments de lecture ont été pour moi chaque fois qu’a été mise en pratique l’affirmation de la p.105 ("je ne crois pas que mes idées puissent à nouveau m’appartenir"), avec tous les glissements et les jeux sur la voix (en fait les voix) du monologue ; ou encore tous les passages tragi-comiques fondés sur le principe de la p.41 ("C’est quand même pathétique de se dire qu’on est non seulement une ombre mais une ombre-cliché") _ et qui ne sont d’ailleurs pas sans rapport avec certaines tonalités du récit de Barberine. D’autres choses à dire encore, mais il faut bien s’arrêter un peu.
13 juin, becdanlo :
becdanlo
Quand on lit un livre, on fait chacun son cinéma : obligé, ne serait-ce que pour monter les décors. Et puis on développe spontanément de l’empathie pour un personnage, pas forcément le premier rôle. Avec Unplugged, j’ai passé un sale moment étant donné que les personnages sont peu nombreux, et que la narratrice semble entourée de nombreux psychopathes. Pour avoir vécu des rencontres en vrai, issues d’Internet, j’ai frémi à la scène avec Bishop. Plusieurs fois, je me suis trouvé dans son rôle, lorsque l’on voit dans le regard de l’autre un malaise troublant et qu’on a la brusque sensation de fondre : c’est donc « ça » mon « âme soeur » avec qui j’ai correspondu des heures, a qui j’ai confié mes plus intimes pensées... et puis cette solitude sidérale qui suit, lorsque l’on reprend le chemin du retour, parfois durant des heures, dans le compartiment d’un train surpeuplé. On communique avec des mots et jamais autant mieux que sur Internet, mais dans la réalité on est confronté au physique de l’autre, à sa présence qui peut provoquer la répulsion. Alors toutes les relations sur Internet sont-elles vouées à l’échec ? A lire le livre d’Alexandra Varrin, il semblerait bien que cela soit fréquent.
« Internet rend fou, » on le pressentait bien... mais à ce point c’est très angoissant. Bishop, Carver deviennent des bêtes noires, des monstres qui envahissent la pensée de la narratrice jusque dans ses rêves. Une seule solution : débrancher l’ordi... mais ce n’est pas possible, on y revient sans cesse, ne serait-ce que dans l’espoir de régler son compte une bonne fois pour toute à celui qui est devenu un adversaire.
Unplugged, un nouveau « voyage au bout de la nuit », celui du web, mais aussi celui de notre humanité, car nous sommes toujours pareils à nous même : un assemblage de pensées, d’émotions, de réactions, d’images de soi et des autres... seuls face au monde. Je ne peux pas dire que j’ai passé un bon moment à lire le récit d’Alexandra, j’ai été très souvent dérangé... mais après tout, c’est bien aussi le rôle d’un livre que de nous questionner ?
17 juin 2009, Anisée
Moi aussi, fini ce matin (et commencé hier soir), ça se lit tres vite. J’ai trouvé mieux que l’ancienne version (ça n’a même plus rien à voir !), mais perso j’aurais gardé le titre ancien, sans "unplugged" qui n’apporte rien et alourdit la couverture. C’est un roman qui plaira sûrement aux addicts d’internet et il y en a ! (à moins que justement ça les "sature", moi ça va je ne suis pas addict) Ce que je trouve juste dommage c’est qu’on voit que c’est inspiré directement du blog de LS et que ces "private joke" risquent d’échapper aux gens pas concernés (d’un autre côté ça donne aussi tout son sens à l’expression "écritures d’internet" que certains trouvent abusive) Il y a des remarques assez bien vues sur la superficialité, mêmes excellentes parfois, mais les personnages secondaires, surtout si on ne sait pas a qui ils correspondent en vrai, manquent de consistance et de poids pour être touchants. On flotte un peu dans un grand rêve fantasmé même si Priss est plutôt "réaliste" et marrante dans son désenchantement alcoolisé. J’avoue avoir bien ri à plusieurs reprises quand même, mais parce que j’ai reconnu qui se trouve derriere les Carver, Strangeday et autre... Mentholée ! :DDD (je ne suis pas rancunière, no souci et même merci pour le cind’oeil acide !) . Le rythmes est alerte, on est vite "pris"(mais est-ce parce qu’on sait qui est le Bibliothécaire-en-Rut et que la curiosité nous pousse a poursuivre pour savoir de qui parle l’auteur, etc ? il faudrait des avis neutres). Ce qui restera un mystere c’est si les évènements décrits (à part le rêve) sont inventés ou non, à moins que les interessés se manifestent pour rouspéter après la romancière qui les raille :DD. L’aspect pervers du roman se situe peut etre là, de se venger et régler des comptes avec la bénédiction maline de Léo ! :D (ceci dit je crois que c’est courant dans la littérature). Voilà voilà, dans une semaine je ne me souviendrai plus de grand chose mais j’ai passé un assez bon moment de divertissement et je ne regrette pas du tout mon achat. (Par contre pour cette Alice Dechain à la fin, je n’ai pas compris qui elle est et pourquoi, mais j’ai dû manquer pleins d’épisodes ! C’est peut être l’ordinateur "machine" ?)
17 juin 2009, Le cinquième de couverture
Fini à mon tour. Ces éditions Adrien Eraud sont vraiment excellentes et publient des auteurs de qualité dans leur revue littéraire. Il faudra que je leur envoie mon manuscrit...
Blague à part et rapidement, j’ai plutôt passé un bon moment, ce qui est finalement rare avec les contemporains. Mais comme cela vient d’être observé par Anisée, mon avis n’est pas "neutre" au sens où ce plaisir de lecture provient en partie de la face cachée du roman à clef. Malgré cela, et si l’on peut prétendre à la moindre objectivité, il y a tout de même un rythme alerte, une écriture hachée / saccadée en phase avec le thème, des mises en abhyîme (pour mettre tout le monde d’accord) réussies. Et puis bien sûr l’autoportrait d’une génération vingtenaire et désabusée – c’est par exemple très intéressant quand on repense aux romans de Despentes (ma génération) et que l’on observe tout ce qu’Internet (justement) a changé. Même si la solitude de la narratrice n’est pas forcément représentative de toute sa classe d’âge (et là aussi je ne suis pas neutre, j’ai de l’empathie par les cyniques, les désespérés, les désaxés en général) et qu’une génération entière ne se reconnaîtra ou ne se projettera de toute façon plus dans un roman, si ce fut jamais le cas, précisément parce que les styles de vie / de pensée / de relation se sont trop dispersés en l’espace de quelques années.
Côté critique, le "pédagogisme" souligné par Marco me gêne aussi un peu. La question n’est pas de savoir si le futur lecteur connaît ou non le web 2.0 – je ne connais pas par exemple les communautés gays SM californiennes, il n’empêche que Cooper me les a fait découvrir (ou du moins leur vision littéraire et fantasmée, déjà à travers le net 1.0 et leurs listes de diffusion) sans cet effort un peu excessif de pédagogie, mot peut-être inadapté, disons cette propension dans certaines pages à des propos un peu trop génériques et généraux sur Internet et la virtualisation des rapports humains. Tout cela passe beaucoup mieux quand c’est incarné / illustré par des (non-)rapports réels. (Sur le fond, au-delà du style, j’applaudis des deux mains la virtualisation en question, dont le succès si rapide tient probablement à ce que les rapports humains "réels" sont la plupart du temps sans le moindre intérêt – enfin, cela vu de ma fenêtre misanthrope ravie de trouver dans le phénomène geek une évolution des moeurs immunocompatible – et que si les rapports humains virtuels sont dans le même cas, c’est-à-dire sans intérêt eux aussi, comme la massification du web par le 2.0 et le désastre cognitif type FaceBook le démontrent, ils permettent au moins d’éviter l’oppression concrète, physique, du populo concentré en zone urbaine).
Autre regret, également souligné plus haut, le défaut de personnages secondaires IRL (amis et collègues sont à peine esquissés) qui auraient permis d’appuyer le "portrait de génération" dont je parle plus haut et aussi de creuser le décalage vie rêvée-cliquée-addictive de pixel / vie subie famille-bureau-sortie-week-end. Par exemple, la sortie avec les copains dans je-ne-sais-plus-quel banlieue de merde suivie de la rencontre avec les "racailles archétypiques" dans le bus m’a bien plu. Contrairement à Marco, je ne trouve pas que les épisodes Bishop et Carver peinent à s’inscrire dans la narration, ce sont deux tentatives de franchissement de l’écran assez cohérentes (à la limite, c’est l’épisode webcam que je trouve un peu forcé). Mais les lecteurs "exotériques" (si, si Alex, vous n’y couperez pas à la mode BER, il y a deux niveaux de lecture selon le niveau d’initiation du lecteur, en fait il y en a même trois si l’on compte les suprêmes initiés capables de comparer la vision au réel...) trancheront, je crains qu’ils soient peu nombreux sur ce site.
Enfin, si vous croisez Alice Deschain ex Priscilla Lahaye, vous êtes prévenus : "le jour viendra où je pourrai me permettre d’insulter mes groupies, mais pour le moment je les ménage".
17 juin 2009, PS
Vous êtes tous complètement nuls, car moi je l’ai fini hier (oui, je sais ça force le respect).
Comme beaucoup ici, un des gros points positifs de ce livre est son rythme. Ça se lit facilement, ça coule, ça déboule. Peut-être même trop « pressé » sur la fin, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que c’était là un roman écrit « à toute blinde ». Les cent premières pages sont parfaites de ce côté-là (j’ai beaucoup aimé la vision de l’existence par « paliers » par exemple, le mot « salaire », jeté à la suite de la ribambelle d’ « espoirs », comme ça, est un très bel effet ; la vie de morts et les « morts-mots » je les kiffe, et d’autres, mais on m’a volé mon exemplaire, pour très probablement se la péter ici avec des messages relus 10 fois et même pas spontanés, hi hi) après, je trouve qu’on s’essouffle, avec quelques passages qui frôlent même le remplissage (comme cinquième de couverture, l’épisode webcam m’a parue un peu trop caricaturale)
Comme beaucoup aussi, je trouve que certains personnages secondaires sont trop esquissés, avec même un effet de « et si je ne savais pas qui se cache derrière, cela aurait-il un quelconque intérêt ? ».
En même temps, la collision fond-forme est assez bien rendue : à personnages esquissés, à écriture peut-être « trop » rapide, répondent ce portrait, que je trouve très très bien réussi moi aussi, d’une « génération » (je hais ce mot, mais on va dire que je suis moi-même...pressée) qui a peur de perdre son temps, qui « passe sa vie sur Internet ». (A ça la « netocrate » répondra qu’Internet, ce n’est pas seulement FB et trois blogs, mais bon...). Même la sexualité de Priscilla concorde : elle est attentiste, se laisse faire et dominer « sans plus », elle attend que ça arrive, à défaut que ça passe...et le « paye » ensuite. Cette facette là est aussi bien rendue (bien « vue », je ne sais pas).
En tout cas, pour conclure, je dirais que c’est là un bon « début » pour Alex. Si j’étais le prof de philo-pervers-pépère je dirais : « 13+, de bonnes impulsions, ne vous découragez pas » (j’ai vraiment eu un prof qui mettait des notes en + et -, juré craché, il avait pas l’air con ensuite pour faire ses moyennes, ah ah ah)
18 juin 2009, Hellman’s M.
Au-dessus il est dit : « Mais, l’erreur la plus dommageable reste qu’Unplugged véhicule une idée fausse. Le Web serait responsable. Non, les minables comme A., Bishop, Bunyan et tutti quanti, ne constituent pas les rebuts du net. Ils sont de réels minables dans la vie quotidienne de tous les jours, sans aucun appui d’Internet. Au contraire, la communication web nous évite d’avoir à défaillir sous l’haleine infecte que leur âme de charognard vomit par tous les pores. »
Intéressant de parler un peu des idées d’Unplugged. Même si ce n’est pas un essai, le fait est que les soliloques de Priss’ contiennent nombre de jugements de valeur sur l’époque, et que l’ensemble peint cette époque (et plus précisément Internet, donc) d’une certaine couleur, dont les tonalités sont plutôt sombres.
De ce point de vue, et pour répondre à votre propos, les premières dizaines de pages du roman suggèrent qu’au contraire, le web n’est pas responsable, que des gens minables oublient simplement leurs vies minables en se vidant l’esprit devant un écran un peu différent de celui de la vieille télévision, mais un écran dont le niveau cognitif tend invariablement vers le bas à mesure que s’ouvre la possibilité d’y déposer sa petite trace. De ce point de vue, Unplugged peut être aussi décrit comme le roman de la massification du web 2.0, ce moment où le net se démocratise dans son usage par des outils de participation. Et cette participation ne se traduit pas principalement par des concours d’érudition de bibliothécaires en rut, même si l’intrigue s’y focalise. Les (très bonnes) pages du début où Priss entreprend de se construire son identité sociocybernétique, saute d’un poque sur faceBook à la 154e consultation de ses boites mails tout en chattant sur un quelconque MSN sont de ce point de vue très réalistes des nouvaux usages massifs du Web (aussi sur leurs mécanismes addictifs, leur misère intellectuelle, leur inefficace plâtrage des vides existentiels : "lorsque je n’épie pas la vie d’autrui, je réfléchis aux meilleurs moyens d’étaler la mienne", résume Priss’).
Mais c’est ma lecture, on peut aussi trouver des passages suggérant d’autres choses.