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Vietnam 40 ans après la victoire contre les Américains — Impressions de voyage 

vendredi 13 février 2015, par Pierric Le Neveu, Thi-Hien TRAN

Embarquement à Roissy, ce 21 août 2014, pour un voyage de quatre semaines au Vietnam. Atterrissage à Ho Chi Minh-Ville et correspondance vers Da Nang où nous attendent mes anciens camarades d’études en Pologne pour quelques jours de partage de souvenirs et d’excursions... Puis nous avons continué notre route vers le Nord, parcourant 2 500 kilomètres en train via Hue, Dong Hoi, Thanh Hoa, Ninh Binh, Ha Noi, Ha Giang, Dong Van, Hai Phong, et Ha Long, en profitant de séjours d’un à trois jours à chacune de ces étapes.
Pierric a rédigé fin septembre un compte-rendu de voyage lié à nos actions en faveur des victimes de l’Agent Orange à Thanh Hoa qu’il a publié sur le site du FaAOD — www.faaod.fr — et sur les pages des réseaux sociaux qu’il abonde. Je tenais, de mon côté, à partager un ressenti un peu différent, tant avec mes amis "proches" du Vietnam qu’avec tous ceux qui envisagent d’aller un jour visiter mon pays natal.
Je voudrais leur dire que malgré le bonheur de fouler la terre de mes ancêtres, j’ai souffert de constater un sentiment d’injustice affectant de plus en plus profondément tous ceux que nous avons rencontrés. Je comprends que la politique du pays est subie et souvent sujette à caution, qu’elle ne semble plus être en phase avec les aspirations du peuple, qu’elle reste floue, et que, malgré l’émergence d’une classe moyenne, les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.
Le Vietnam est gouverné par un parti unique. Les médias dépendent de l’État, l’éducation nationale et les programmes scolaires sont définis par le gouvernement ; les représentants de l’état, la police et l’armée, sont omniprésents dans la vie de tous les jours de chaque citoyen qui peut être amené à rendre compte de ses actes à tout moment.
J’ai ressenti, plus particulièrement cette année, un mécontentement généralisé à tous les niveaux de la société. C’est le cas, pour commencer, des anciens combattants qui ont risqué leur vie contre l’armée américaine, qui n’en sont pas toujours revenus indemnes et qui n’oublient pas le sacrifice de leurs camarades, les victimes civiles, la destruction de leur environnement et la perte de leurs maigres biens. Quarante ans après la fin de la guerre, ils ne reconnaissent, ni les visions de l’oncle Ho, ni l’engagement et les promesses du parti qui les a façonnés. Comme s’ils pensaient : "tout ça pour ça"...
Les jeunes voudraient plus de liberté ; les intellectuels (écrivains, avocats, professeurs d’université...) réclament de pouvoir exercer sans contrainte leur métier ; les ouvriers aspirent à davantage de justice sociale face aux patrons qui les exploitent ; les paysans rêvent d’une vie moins pénible et de ne pas courir le risque de se voir confisquer leurs terres pour des grands travaux ou des complexes immobiliers qui ne les concernent pas...
La vie des citoyens vietnamiens est de fait complètement "encadrée" dans une société rongée par la corruption.

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À Da Nang, nous avons savouré nos retrouvailles avec mes anciens camarades dans une ambiance joyeuse et fraternelle. Notre programme, composé d’excursions autour de Da Nang et d’un séjour à Hoi An, s’est bien passé malgré l’inconscience de cette jeune fille venue se jeter avec son vélomoteur sous les roues de notre car, mais qui s’en est miraculeusement sortie avec une grande frayeur et quelques bleus. Pierric et moi nous avons apprécié la gestion de l’accident par le chauffeur et la prise en charge par sa compagnie des réparations du vélomoteur, évitant ainsi l’intervention de la police routière qui, selon les parties, aurait risqué de "compliquer" les choses.

Da Nang est une ville en pleine expansion, très étendue, une ville propre aux plages fréquentées essentiellement en fin de semaine. L’ambiance y est assez conviviale, les habitants ont l’air plus détendus qu’ailleurs. La ville est très fière de son pont du Dragon, et de quelques immeubles modernes habillés de verre teinté parmi lesquels celui, luxueux, du Comité populaire, domine le quartier campé sur des colonnes démesurées !

Le guide nous a affirmé que Da Nang allait devenir "la Silicon Vallée" vietnamienne avant 2030. Da Nang possède les atouts d’une ville dynamique, qui fut pourtant une des plus touchées par les épandages d’Agent Orange/Dioxine pendant la guerre. Le nombre des victimes prises en charge dans cette province est supérieur à 5000 personnes, dont 1400 enfants atteints de malformations ou de maladies handicapantes diverses. Ils ont besoin d’aides médicales et matérielles pour survivre.
Nous avons voulu en savoir davantage sur l’avancement du processus de détoxification — entamé et financé par les américains depuis bientôt deux ans — des zones de stockage de l’Agent Orange/Dioxine dans la zone de l’aéroport où nous avons remarqué, en atterrissant, la présence des entrepôts encore intacts abandonnés par l’armée américaine. Renseignements pris de la responsable de la VAVA de Da Nang, la visite du site est interdite au public et soumise à une autorisation apparemment très difficile à obtenir auprès des ministères de la défense et de l’environnement.
Selon mes camarades habitant Da Nang, la détoxification des sols ne serait pas très avancée en raison de la mise en œuvre d’un processus plus compliqué que prévu...
L’organisateur de nos excursions nous a plusieurs fois répété que la ville avait obtenu, grâce à l’action de ses instances dirigeantes, le titre de "la ville la plus propre et plus écologique du Vietnam" ; peut-être s’agit-il de dissimuler le fait que la terre et l’eau sont contaminées par les épandages d’Agent Orange/Dioxine dont la population subit encore aujourd’hui les monstrueuses conséquences.
Peu de mendiants dans la ville, notre guide nous affirmant que des emplois leur avaient été réservés par la mairie. Des nouveaux quartiers sont en construction constitués de complexes immobiliers de luxe, en bord de mer, "destinés" à une clientèle fortunée. Ce nouveau paysage urbain serait dû à la bonne gestion de l’ancien maire de la ville.

Malgré une certaine ouverture d’esprit, mes camarades ne souhaitent pas évoquer en public la situation politique au Vietnam, et c’est notre vie d’étudiants en Pologne — un bond de 42 ans dans le passé — qui meubla l’essentiel de nos conversations, ravivant des souvenirs qui ne demandaient que ça et renforçant au passage nos liens affectifs au travers d’irrépressibles fous rires. Nous avons parlé de nos enfants à peine plus âgés aujourd’hui que nous lors de notre départ en 1972. Un ancien chef de groupe nous "présenta" avec fierté son fils et de sa fille auxquels sa femme, rentrée la veille de notre arrivée, venait de rendre visite aux États-Unis où ils effectuent leurs études. La femme de mon ancien chef est aussi affable et gentille que la redoutable gestionnaire qui sut faire fructifier les revenus de son mari pendant qu’il sillonnait les mers à bord des bateaux qu’il commandait. Elle me raconta par le menu le quotidien de ses enfants dans un pays ou les produits alimentaires (surtout la viande) sont peu coûteux, inquiète du surpoids de son fils victime selon elle des excès de la consommation à l’américaine. Je l’ai mise en garde contre les produits alimentaires "douteux" vendus dans certains supermarchés, car elle ignorait, comme la plupart des vietnamiens, convaincus que tout est meilleur dans les pays occidentaux, que, et particulièrement aux États-Unis, la "malbouffe" règne en maître.
J’ai souvent été surprise de constater qu’au Vietnam, malgré des salaires officiels relativement peu importants, bien qu’affichés de façon trompeuse pour les étrangers en millions de dongs, beaucoup gens soient en mesure d’offrir à leurs enfants des études coûteuses aux États-Unis, en Europe, au Japon ou en Australie. Des pages de publicités dans le magazine "Heritage" de la Vietnam Airlines vantent d’ailleurs les services d’organismes se chargeant des formalités indispensables.
Une forme d’économie souterraine, éloignée des chiffres officiels, existe manifestement.

Mais, dès qu’on parle d’économie, on aborde forcément la politique, même si le sujet reste délicat. J’ai réussi, à force d’insister, à sonder dans des moments propices en fonction des personnes présentes, comme s’ils craignaient parfois une interprétation déformée de leurs propos, les sentiments refoulés de mes anciens condisciples : beaucoup d’entre eux, à l’instar de nombreux vietnamiens, n’ont pas confiance en leurs dirigeants, et souvent ne les respectent plus, même si l’intérêt les pousse à adhérer au parti. L’opinion est en fin de compte presque unanime — même exprimée par des gens "purs", comme peut l’être un de mes beaux-frères demeuré fidèle aux principes du marxisme-léninisme — à considérer que ce parti doit entamer un changement radical tant pour sa survie que pour l’avenir du pays. On ne qualifie plus un cadre du parti de "can bo" mais d’un "quan" péjoratif utilisé à l’égard des mandarins fantoches d’avant 1954.
Le Vietnam revendique une politique économique de marché régulée par le parti, mais cette économie n’est pas encadrée par un système juridique efficace et on a l’impression que c’est en fait une forme de capitalisme sauvage propice aux combines qui bénéficie à des catégories sociales au détriment de plus fragiles. Cette économie, aussi spontanée qu’improvisée, n’est en tout cas pas compatible avec les principes d’égalité et de fraternité revendiqués par le Marxisme-léninisme. Chacun se débrouille à son niveau avec ses moyens en vue d’objectifs de profit immédiat. Seuls, en bas de l’échelle sociale, les paysans et les ouvriers démunis restent incapables de générer des revenus annexes. Nous avons rencontré des personnes âgées ne possédant plus aucune existence légale, sans couverture sociale, sans retraite, simplement victimes de la perte de leurs papiers administratifs pendant la guerre.

Le fossé entre les riches et les pauvre se creuse chaque jour davantage, les dirigeants sont protégés par un système crée par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et étendent leurs privilèges à leur seul entourage. Officiellement les cadres du parti ne possèdent pas de grandes maisons et leur salaire officiel ne leur permet pas d’économiser, mais un bienveillant hasard ou une chance insolente offrent à leurs enfants des opportunités de "réussir" rapidement... Des PDG de grosses sociétés d’état œuvrant dans la construction, le transport, l’assurance ou la banque, affichent sans complexe leurs richesses en plein jour.
Du nord au sud, les écarts de revenus sont visibles, engendrant un mépris des pauvres jusque dans les écoles publiques de Ha Noi où on peut distinguer des classes pour les riches et des classes pour les autres au détriment des rapports entre les enfants de la même école. Des directeurs se comportent, dans des entreprises d’état, comme s’ils étaient propriétaires de "leur" société. Les recrutements dans l’administration et dans les entreprises publiques ne sont pas transparents. Souvent, on doit acheter son emploi !
Les salaires de ces dirigeants sont infiniment supérieurs à ceux des ouvriers qui, eux, ne bénéficient pas "d’à-côtés" provenant d’une embauche, d’un coup de pouce à l’avancement d’un cadre ou d’une commission sur transaction... Tandis que les ouvriers sont exploités et risquent la porte pour un oui ou pour un non, des places sont à vendre ; on est dans un système quasi féodal mâtiné de capitalisme pur et dur.
La corruption au Vietnam est très particulière : elle est à la fois liée à la tradition et fait aujourd’hui partie intégrante du système ; elle devient un mode de vie, une habitude, une fatalité communément admise. Les fonctionnaires (depuis la base) "acceptent" tout naturellement, sans même avoir besoin le plus souvent de les suggérer, des "cadeaux" de la part de contribuables pressés d’apporter une solution à "l’affaire" qui les préoccupe. J’ai moi-même été témoin, à l’occasion d’une démarche administrative engagée par un membre de ma famille, d’une proposition à peine voilée d’accélération de la procédure en échange d’un "petit geste".

Le système administratif vietnamien est verrouillé et pyramidal.
Au sommet :
— Le Parti (3,6 millions de membres) doté d’un premier secrétaire et d’un comité central composé de 15 personnes, parmi lesquels le président, le premier ministre, le ministre de l’intérieur, le ministre de la défense, le ministre de l’économie, les présidents des comités populaires de Ho Chi Minh-Ville, et de Hanoi.
— Le Président
— Le Gouvernement et le premier ministre.
Puis :
— Les comités populaires existant à chaque niveau (pays, province, ville, district, quartier). Tout est encadré et organisé de telle sorte qu’un citoyen ordinaire ne peut pas échapper aux yeux et aux oreilles du pouvoir.

A titre indicatif, un fonctionnaire de base gagne environ 2,5 à 3 millions de dongs (100 à 120 euros), la retraite d’un professeur d’université est d’environ 5 à 6 millions de dongs (200 à 250 euros), une professeur de collège perçoit un salaire d’environ 4 millions de dongs (120 à 150 euros). Chacun doit se débrouiller pour se loger, nourrir sa famille, éduquer ses enfants ; il a deux solutions :
— Soit occuper un second emploi, comme, dans le cas des professeurs de collèges et de lycées, donner des cours privés... le plus souvent dispensés à leurs propres élèves qui en retirent indéniablement un double bénéfice. Les infirmières prodiguent de leur côté des soins à domicile après leur travail à l’hôpital, et ainsi de suite. Toute cette économie parallèle échappe aux statistiques et représente un manque à gagner certain pour l’État.
— Soit "accepter" de recevoir des cadeaux des contribuables, à l’occasion, par exemple, de formalités pour l’obtention d’un titre de propriété, une démarche si "compliquée" que presque tout le monde sacrifie au rituel des "enveloppes" pour débloquer le processus. Les places à l’université sont très difficiles d’accès en raison du nombre trop important de candidats, mais il est souvent possible d’obtenir "l’aide" de certains enseignants hauts placés.

On nous raconte, et nous avons pu en observer les conséquences, qu’obtenir un poste de policier de la circulation nécessite un "investissement", à charge pour l’heureux élu de se rembourser sur le dos des contrevenants — véritables ou arbitrairement désignés.
En général, faire une demande, et quelle qu’en soit la nature, implique de la déposer auprès du comité populaire de quartier envers lequel il est dans l’intérêt du demandeur d’être "compréhensif" avant même de parvenir au premier guichet.
En dehors des comités populaires existent de très nombreuses organisations patriotiques, des associations, des comités, des ligues qui dépendent directement ou indirectement du parti comme, par exemple, les associations des femmes patriotes ou de personnes âgées, la ligue de la jeunesse communiste, etc... Un citoyen lambda n’échappe jamais au contrôle du parti qui sait tout de chacun en permanence.

Deux tendances cohabitent au sommet du pouvoir : pro-chinoise et pro-occidentale. Elles s’affrontent, depuis ces dernières années, dans une lutte féroce. Le gouvernement vietnamien est embarrassé par l’expansionnisme du grand pays "frère" en mer de Chine orientale. Il cherche une solution pour tenter de minimiser l’influence chinoise en tentant de se rapprocher des États-Unis tout en louant l’amitié indéfectible entre le Vietnam et la Chine.
Le Vietnam, sans craindre le mélange des genres, s’équipe en matériels militaires russes et américains et est capable d’accueillir à Da Nang des navires de la flotte américaine.

Mais, en tout état de cause, le pouvoir dictatorial perdure grâce à une police bien entrainée et prête à se sacrifier tant pour sa propre survie que pour celle du régime. Nombre de vietnamiens n’ont pas d’autre perspective que de faire le dos rond en espérant d’improbables changements ; il n’y a pas d’opposition officielle. Certains journalistes ou écrivains un peu trop hardis sont rapidement "invités" à rentrer dans le rang sous peine d’emprisonnement ou de mise en résidence surveillée. De nombreux prisonniers politiques sont incarcérés sous des motifs divers éloignés de leurs actes réels (blogueurs ou manifestant anti-chinois devenus incontrôlables...). Parfois, ceux qui sont remis en liberté sont contraints de quitter le pays (le dernier en date, au mois d’Octobre, M. Hai Alias Dieu Cay a été libéré après quatre années de prison et "s’est exilé" aux Etats Unis).
Les gens se taisent par crainte. On peut être arrêté sur dénonciation pour des prétextes divers tels qu’être "contre le parti" (donc contre le peuple) ou pour fraude fiscale. Les fonctionnaires retraités ont peur de perdre leurs avantages acquis et souhaitent, lorsqu’ils expriment des doutes, un changement en douceur. Le parti profite de cet état de fait pour régner. Dans un pays où il est difficile de démêler le vrai du faux, où sont colportées des rumeurs faisant état de mouvements extrémistes susceptibles de sortir de l’ombre en cas d’affaiblissement du parti, l’attentisme prévaut.

À ma question (tout de même un peu indiscrète à ses yeux) de savoir s’il avait l’intention de quitter le parti, après l’avoir entendu exprimer des réserves sur l’avenir du pays, un ancien chef de groupe m’a répondu un peu mal à l’aise qu’il n’avait en fait rien de vraiment important à se reprocher, pas plus en fait qu’au parti, que le Vietnam n’était sans doute pas mûr pour le multipartisme et qu’il préférait attendre... encore un peu l’émergence d’un pouvoir alternatif crédible.
Une camarade dirigeant un cabinet d’architecture dans une grande ville du Sud, par contre, à la tête d’une dizaine d’architectes spécialisés dans la construction de ponts, appelle de ses vœux un changement radical, souhaitant ardemment une véritable opposition au parti dictatorial en place. Elle m’a confié, écœurée, devoir faire face en permanence au "racket" exercé par les autorités locales qui l’obligent à "mentir" aux partenaires étrangers sur le chiffres et à manipuler sa comptabilité. Elle est en permanence tiraillée entre le fisc, les autorités, les investisseurs et sa conscience, contrainte de "gonfler" des factures de charges afin de payer moins d’impôts pour dégager du "cash" destiné à des gens haut placés dont elle dépend pour obtenir des contrats... en parfaite connaissance des fonctionnaires du fisc de son quartier qui ont l’ordre de fermer les yeux.

Pendant nos déplacements, nous avons croisé de nombreuses et très grosses voitures ou des villas somptueuses dont les gens "ordinaires" nous révèlent qu’elles appartiennent à des dirigeants. Nous avons rencontré des représentants de milieux différents : hommes, femmes, cadres, chefs d’entreprise, professeurs, étudiants, commerçants, paysans, retraités avec qui la confiance s’est rapidement installée. Tous ont facilement partagé leurs états d’âmes avec nous, "étrangers", peu susceptibles à leurs yeux de les trahir. Tous se sont déclarés usés et désespérés par une politique incohérente et dépourvue de vision.

À Da Nang nous avons voulu approfondir notre connaissance du conflit sino-vietnamien en mer de Chine orientale, un conflit qui dure depuis 1974 mais qui a été révélé au monde en mai 2014 par l’installation d’une plateforme pétrolière chinoise dans les eaux territoriales vietnamiennes. Nous nous sommes rendus au musée de Da Nang pour visionner les films et consulter les documents exposés lors de la conférence internationale sur les îles Paracels les 20 et 21 juin derniers.
Monsieur André Menras, un franco-vietnamien amoureux/militant de longue date du Vietnam, avait mis à la disposition du public au mois de juin son film documentaire "la meurtrissure" dénonçant les agressions chinoises contre les pêcheurs vietnamiens dans les îles Paracels, partie intégrante du district de Da Nang ! Le musée de Da Nang a diffusé ce documentaire en boucle à l’époque de sa présence, mais toutes les traces de son action, de l’exposition et du film qui l’accompagnait ont été effacées après son retour en France. Seule une exposition de photos, au bord de la rivière Han, vantant les mérites de la marine nationale et des autorités, évoquait les faits lors de notre passage fin août. On découvrait des marins, des bateaux militaires, des pêcheurs, mais surtout des portraits de dirigeants censés soutenir et protéger la population opprimée par les Chinois. Le premier ministre dénonçait "une amitié illusoire" avec la Chine, un thème qui satisfaisait les visiteurs et qui l’a sans doute aidé à sauver son fauteuil. Malgré la démonstration de leurs sentiments patriotiques, de nombreux manifestants anti-chinois ont été arrêtés — peut-être le pouvoir a-t-il craint d’être débordé à l’occasion d’une manifestation qu’il avait pourtant autorisée ? — et certains sont encore emprisonnés à ce jour, ce qui conduit la population à se demander si les dirigeants ne sont pas un peu trop dépendants de la Chine.



À Hué, devant la cité impériale, au bord de la rivière des parfums, les touristes occidentaux sont très sollicités, voire harcelés, par les conducteurs de cyclo-pousses, les commerçants semblent moins souriants qu’autrefois. Ici, comme partout maintenant, les hôtels de luxe côtoient les maisons délabrées. Des restaurants chics aux cartes de prix "à l’occidentale" sont fréquentés par une clientèle aisée essentiellement vietnamienne.

Dans la gare de Hué, en attendant le train qui accusait un retard d’une heure et demie, une jeune femme de 35 ans entreprit de vider son cœur d’un trop-plein de mécontentements et de désillusions accumulés. Elle n’eut pas de mots assez durs pour décrire les agissements de la police locale qui, selon elle, se comporte comme "les vautours du régime". Elle est coiffeuse, propriétaire d’une petit salon situé à l’écart de la ville, et se plaint d’être continuellement dérangée par les visites de policiers (quartier, route, environnement) sous des prétextes aussi différents qu’arbitraires : un cyclomoteur mal garé, le non-respect de règles d’hygiène, le volume trop élevé de la musique d’ambiance ou, encore, une évacuation des eaux usées non conforme. Son seul tort est, selon ses dires, de leur refuser les "cadeaux" qu’ils attendent d’elle, pour des "fautes" qui auraient cependant tendance à paraître bénignes dans un pays où l’achat d’une signature sur un permis de construire vaut dérogation à tous les règlements d’urbanisme !

Nous avons pris le train "de la réunification" pour nous rendre à Dong Hoi, impatients de visiter la plus grande grotte du monde récemment découverte : une véritable merveille de la nature, féérie de minéraux sous des plafonds situés parfois à 120 mètres du sol !
Dong Hoi est une ville qui, totalement détruite pendant la guerre en raison de sa proximité avec le 17ème parallèle et avec la piste Ho Chi Minh, située dans la partie la plus étroite du Vietnam, a su renaître sous forme de constructions modernes irriguées par des rues calmes. Bordée par une plage de sable fin, elle est largement ouverte au tourisme. La présence de nombreuses églises visibles tout au long des 70 kilomètres qui séparent la grotte de l’hôtel que nous occupions laisse à penser qu’une communauté catholique est bien implantée dans la région.

Nous avons rencontré au bord de la rivière Nhat Le, Monsieur Li, 78 ans, ancien haut fonctionnaire sous le régime saigonnais, qui nous a fait longuement part de sa tristesse et de son amertume. Il nous raconta qu’il vivait depuis 1975 sous surveillance policière après avoir "tout" perdu en raison de sa participation au gouvernement saigonnais. Il nous expliqua que beaucoup d’habitants de Dong Hoi s’étaient réfugiés loin de la ville pendant la guerre et que les combattants du Nord s’étaient empressés de prendre possession de leurs logements par rues entières, se partageant les parcelles cultivables et déniant, à ceux qui étaient revenus après les troubles, tout droit de propriété. Pour lui la politique de "réconciliation nationale" n’aura été que poudre aux yeux. Il revient, nostalgique, passer chaque année quelques jours en ville, conscient qu’il ne parvenait cependant qu’à alimenter sa rancœur en constatant l’état de décrépitude de son ancienne maison.

Près de la frontière du Nord avec la Chine, la patronne de l’hôtel nous a raconté qu’un ancien maire de Dong Van serait propriétaire de toute la fabrication régionale de vodka de maïs. Ses usines et ses villas somptueuses portent les noms de membres de sa famille. Il se comporte comme un parrain à tel point que, au décès de son père, toute la ville s’est rendue en procession déposer "enveloppes" et cadeaux pour les funérailles. Quand je demandai à mon interlocutrice si elle et son mari sacrifiaient au rituel des cadeaux à monsieur le maire, elle répondit que son mari acceptait par interêt, contrairement à elle, mais comme beaucoup d’autres, soucieux d’entrer dans les bonnes grâces du monsieur pour ne pas être écarté des "affaires" !

À Ninh Binh, nous avons rendu visite à un ami propriétaire d’un élevage de porcs. Lin est un homme courageux. Pour mener à bien sa petite entreprise (une dizaine de salariés) il doit résister à des fonctionnaires sans scrupules (impôts et environnement) qui lui rendent régulièrement visite sous couvert de "rappels à la loi" pour des motifs fantaisistes allant de la qualité de l’eau dont il abreuve ses porcs jusqu’à la fréquence de leurs déjections, et qui n’hésitent pas à revenir le lendemain si "l’enveloppe" qu’ils étaient venus chercher n’était pas garnie à la hauteur de ce qu’ils avaient escompté.
Nous avons cru comprendre à cette occasion que le gouvernement avait tendance à promulguer des lois inapplicables dont l’interprétation était laissée à la charge des fonctionnaires sur le terrain pour les affaires courantes, ou à celle de leurs ministères de tutelle pour les affaires importantes. Dans tous les cas, ceux qui sont pris dans les mailles du filet n’ont pas d’autre choix que de se soumettre aux diktats des représentants de la loi... Et les plus faibles ont toujours tort, à l’instar de ces petits vendeurs de soupes ou de crêpes sur les trottoirs de Ha Noi, qui, ne disposant d’aucun espace légal pour vivre de leur commerce, sont constamment aux aguets et se cachent de la police.

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Au Vietnam personne ne meurt de faim, ont l’habitude de nous rappeler certains interlocuteurs, ce qui représente une façon de nous dire qu’il vaut mieux de ne pas critiquer le régime. Mais je reste convaincue que le peuple vietnamien mérite mieux ! Et je souffre de voir à la campagne les paysans travailler très dur dans les champs juste pour assurer les repas du lendemain. Leur vie dépend de la récolte et ils subissent la pression des fabricants de pesticides qui leur font miroiter des rendements prétendument exceptionnels sans même les avertir des risques qu’ils encourent.

Les boutiques de vente de produits phytosanitaires existent un peu partout au Vietnam, et les paysans utilisent, faute de consignes, sans "modération" et sans aucune protection ces produits hautement toxiques. Au bord de la route, en direction de Ha Giang, la propriétaire d’une boutique de fournitures agricoles nous a déclaré qu’elle recevait les produits d’un grossiste de la province et que les paysans venaient s’approvisionner chez elle en fonction de leurs moyens. Elle vend des pulvérisateurs, mais aucune combinaison ou ni aucun masque de protection dont elle ignore d’ailleurs tant la nécessité que l’existence. Les produits sont classés par catégories : pour le riz, pour les fruits, pour les tomates, pour les salades... Certains pesticides sont produits sur place sous licence, d’autres proviennent de Chine ou du Japon ; il sont reconditionnés par les détaillants sans précaution particulière dans des flacons de tailles diverses. Le chauffeur nous confie que, dans son village, les paysans, dont sa femme, travaillent dans les champs et utilisent tous ces produits, précisant même que sa femme rentrait parfois à la maison les vêtements complètement imprégnés à l’occasion des pulvérisations.

Nous retrouvons Ha Noi, capitale millénaire ! Mais cette ville s’asphyxie dans les gaz d’échappement ; les voitures tiennent le haut du pavé et les cyclomoteurs ont remplacé les bicyclettes qui ne sont plus utilisées que par les moins fortunés, les commerçants ambulants, et par les écoliers.
Une certaine jeunesse dorée des grandes villes se donne rendez-vous dans les bars : bière, musique occidentale et frivolité envahissent la nuit. Cyclomoteurs et smartphones sont les accessoires à la mode incontournables. Notre petit hôtel, au nord du lac Hoan Kiem subit jusque tard dans la nuit les débordements de cette insouciance collective. La fin d’une époque, un avenir incertain ?

Au bord du lac, des grand-mères vendent des petits objets artisanaux, des soupes, des cartes postales, des beignets ou des gâteaux de riz. Elles

sont constamment chassées par la police de quartier. Gare au manque de vigilance de cette malheureuse qui risque de se voir confisquer par des policiers sans état d’âme ces quelques accessoires qui lui auraient assuré la nourriture du lendemain...
Des personnes âgées fouillent les poubelles, d’autres font des exercices physiques en musique, de jeunes fiancés se font photographier en tenue solennelle. La mendicité est interdite au Vietnam mais il n’est pas rare d’être sollicité par des personnes souffrant de handicaps ou de malformations — Agent Orange ? Dans les carrefours alentours, des policiers règnent en maîtres sur un vivier d’auteurs d’infractions parfois imaginaires et rapidement "négociées" pour aboutir au paiement d’une amende de 200 000 dongs au lieu des 500 000 qui auraient donné lieu à l’établissement d’un reçu.

Que dire de ce cortège surprenant de trois voitures officielles précédées de 12 motards en uniforme blanc immaculé, eux-mêmes précédés de 6 motards chargés de dégager la voie ? Des gens "importants" sortent rapidement des voitures pour s’engouffrer dans le théâtre des marionnettes sur l’eau — tout un symbole — avant de recueillir cette réflexion désabusée d’un conducteur de cyclopousse : "Un ministre qui rend visite à sa maîtresse"...

La vie est chère, comparée aux salaires. Voici quelques exemples : à Ha Noi, sur le marché, 1 Kg de riz coute entre 15.000 et 25.000 dongs (25 000 dongs = 1 euro). Dans les petits restaurants "Binh Dan", il faut compter entre 35.000 et 40.000 dongs pour une soupe "pho" ou une assiette de riz avec quelques légumes et un peu de viande ; un café à la vietnamienne coûte, suivant les établissements, entre 25.000 et 55.0000 dongs. Une bière locale s’échange contre 15.000 à 25.000 dongs. Un jus de coco trouve preneur entre 25.000 et 40.000 dongs. Le prix d’une place de cinéma, varie de 40 000 à 150 000 dongs. Une voiture importée d’Europe coûte deux fois le prix que nous la payons chez nous.
Le salaire moyen mensuel au Vietnam est de 110 euros dans les grandes villes et d’environ 70 euros dans les petites villes ou à la campagne. Mais un combattant blessé et retraité (un exemple que nous connaissons bien) devra se contenter, s’il a pris ses distances avec le parti, d’une pension de 40 euros.

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Quelques exemples concrets d’anomalies flagrantes :

Un ancien vice-ministre vient de faire construire à Ha Noi une maison sur le terrain de son logement de fonction, condamnant un passage public asphalté pour y construire un garage à l’ombre de sa "modeste" villa élevée sur 5 niveaux. Les habitants du quartier qui s’étaient risqués à signer une pétition ont reçu des menaces téléphoniques en pleine nuit qui les ont rapidement convaincus de ne pas insister.

À Ha long, des constructions inachevées, envahies par les mauvaises herbes, parfois squattées, sont laissées à l’abandon pour des raisons obscures de permis de construire refusé ou de financement interrompu. Des constructions, accrochées au versant de la colline côté baie dont le sommet accueille l’ancienne résidence d’été du général Giap, semblent avoir bénéficié de passe-droits, comme ces immeubles aussi hauts que disgracieux plantés au bord de l’eau, dans un site classé Unesco, dont les promoteurs ont entrepris de raser les modestes installations du marché de nuit pour les remplacer par une plage interminable de sable fin d’inspiration brésilienne. Et encore, ce petit îlot qui accueillait, à quelques encablures du rivage, un petit temple bientôt étouffé par un hôtel et un casino...

Nous avons visité une île — 7,6 Km2- 2000 habitants — à quelques kilomètres de Ha Long, une île, désormais reliée à la terre par un pont, et sur laquelle règne un milliardaire en dollars connu de tous les habitants de la région. Il se présente lui-même comme "le roi de l’île". Une île qu’il transforme de fond en comble, achetant des terres, déplaçant des paysans, construisant marinas, villas avec piscines, appartements, hôtels de luxe et salles de jeux.

Ce milliardaire, présenté comme un ancien combattant sur la peu médiatisée piste Ho Chi Minh maritime, fort d’états de services remarquables, bardé de décorations, est courtisé par les plus hautes instances du gouvernement. Il aussi est très fier de la Rolls-Royce qu’il se flatte de conduire.
Un jeune couple, récemment installé dans l’île derrière les fourneaux d’un petit restaurant, attiré par le boom économique dont il avait entendu parler depuis Ha Noi, était convaincu d’avoir pris la décision qui lui apportera réussite et aisance financière. Ils nous parlèrent avec respect de "leur roi". Confrontés à notre envie de savoir s’ils ne risquaient pas d’être expropriés, car nous nous étions rendus compte que le restaurant était situé dans une zone destinée, d’après le plan d’aménagement, à céder la place à un lac, elle et lui nous répondirent laconiquement, d’une même voix, qu’aujourd’hui était aujourd’hui, qu’ils ne devaient penser qu’à la recette de la journée et que demain était encore trop lointain pour devoir s’inquiéter de quoi que ce soit.

Dans un autre domaine, l’exploitation de mines de bauxite (minerai nécessaire à la fabrication de l’aluminium) à Nhan Co et à Tan Rai, en particulier, dans la province de Dak Nong, sur les hauts plateaux, "concédée" à des entreprises chinoises — sachant que la Chine a cessé sur son territoire, pour cause de désastres causés à l’environnement, l’exploitation de ces mines — est particulièrement préoccupante. Comme le sont aussi les conditions dans lesquelles les concessions ont été attribuées. Les boues rouges qui contiennent de l’hydroxyde de sodium en quantités très importantes risquent de contaminer sols et cours d’eau que les paysans utilisent pour irriguer leurs champs. Et c’est sans compter l’utilisation intensive de soude caustique nécessaire à l’extraction de l’alumine. Cette exploitation avait été, pour la petite (?) histoire, critiquée par le général Giap en 2009 dans une lettre ouverte au gouvernement (qui avait déjà renoncé en 1980) pour lui demander d’abandonner une nouvelle fois le projet. Une démarche identique a été effectuée en 2010 par Madame Nguyen Thi Binh, ex-vice-présidente de la république, avec l’appui de personnalités politiques, scientifiques et religieuses. À qui profite-donc le crime ?

À moindre échelle, une Vietnamienne, propriétaire d’un hôtel à Ha Long m’a abordée un soir pour me faire part de ses soucis et nous demander des conseils pour les études de sa fille à l’étranger. Elle nous affirma posséder quelques économies mais qu’elle ne savait pas comment procéder. Je lui dis que je connaissais un couple qui avait dû débourser 600 millions de dongs (environ 24 000 euros) par année d’études de leur fils dans une High school en Angleterre, mais elle ne parut pas découragée... Et elle n’est pas la seule.
Dans le magazine "Heritage" de la Vietnam Airlines, parmi les publicités et les articles concernant le Vietnam, j’ai remarqué aussi les annonces d’officines spécialisées proposant investissements et obtention garantie d’une carte de séjour aux USA, au Canada ou encore en Australie. Le prix : 11 milliards de dongs (environ 400.000 euros) laisse supposer que la clientèle existe.

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À la montagne les gens sont très pauvres, nous avons visité les villages près de Dong van. Pour s’y rendre il faut louer un cyclomoteur car les chemins de terre ne sont pas accessibles aux véhicules à quatre roues. À l’occasion de ces déplacements, nous avons souvent rencontré, un peu étonnés, des enfants cheminant seuls au bord de la route. C’est ici aussi que nous avons rencontré deux jeunes cadres du parti. Elle, jeune femme de 33 ans de la minorité Dao venant d’un village voisin, lui un homme de 40 ans de la minorité Hmong avec deux enfants, dont un est handicapé de naissance. Il tient une épicerie juste en face d’une école et vend boissons sucrées, bonbons, riz, pâtes et quelques fournitures scolaires. Nous avons bu le thé avec eux et discuté afin de mieux connaître la vie des villageois. Ils nous ont appris qu’ils avaient été formés à devenir membres du parti par des cadres venant de Ha Noi.

Ils ont pour rôle de surveiller le bon fonctionnement du village. Tous les deux se font un devoir d’obéir au parti sans poser des questions. Quand ils ont su que Pierric était français, ils nous ont questionnés sur la colonisation. Ils voulaient savoir pourquoi les Français étaient venus au Vietnam. On leur a apparemment appris qu’ils avaient fait le déplacement uniquement pour l’exploitation des richesses du pays, et qu’ils avaient été chassés par le peuple vietnamien, comme plus tard les Américains, sous la direction de Ho Chi Minh et du Parti communiste. Ils furent très étonnés d’apprendre que la guerre d’Indochine n’était pas du tout la volonté du peuple français qui se remettait à peine de la deuxième guerre, et que la guerre d’Indochine avait été décidée par une poignée des gens aveuglés par leur ambitions coloniales et leur propre intérêt.
La jeune femme nous raconta qu’elle dispensait une information politique dans le but de convaincre les jeunes montagnards d’aller travailler en ville et à l’étranger, le comité populaire du village devant faire face à une jeunesse peu attirée par les études susceptible de noyer son ennui dans l’alcool. Un phénomène que nous entendrons plusieurs fois évoquer.

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En guise de conclusion, je tiens à préciser que les faits que je rapporte sont la simple expression de sentiments qui me sont personnels et dénués de toute polémique politicienne.
J’ai été — nous avons été — tout au long de notre séjour, à la fois indignés, révoltés et surtout tristes de voir le Vietnam s’éloigner des idéaux que l’on m’avait inculqués quand j’étais enfant et adolescente. Je ne suis pas pour la première fois confrontée à la pauvreté et à l’injustice, aux manquements aux droits de l’homme ; ce n’est pas non plus la première fois que je recueille des critiques envers le gouvernement, mais c’est la première fois que je prends vraiment à cœur une situation qui ne semble pas devoir évoluer dorénavant dans la bonne direction.
Je n’étais sans doute pas jusqu’à présent prête à "m’impliquer" de cette façon.

Pendant des années j’ai fait comme beaucoup d’autres, me contentant de prendre l’avion pour voir mon pays, ma famille et mes amis. J’ai sans doute malgré moi fermé les yeux par affection pour les miens et pour ma terre natale.
Mais cette année, parce que je mène à travers le FaAOD — à la lumière des dramatiques conséquences sur la population et sur la nature des épandages d’Agent Orange par l’armée américaine pendant la guerre — une action d’information contre l’utilisation irresponsable partout dans le monde de produits chimiques toxiques, deux faits m’ont aiguillonnée :
— Le retour triomphal de Monsanto au Vietnam avec la bénédiction des autorités, suite à l’ouverture officielle du pays aux OGM (qui sont des "entonnoirs" à pesticides et dont il faut pour couronner le tout acheter les semences chaque année !) créés et distribués par les multinationales qui ont conçu l’Agent Orange/Dioxine, cet herbicide utilisé comme une arme de destruction massive dont les effets monstrueux affectent encore aujourd’hui, un demi siècle après les premiers épandages, des centaines de milliers de victimes et leurs descendants.
— L’arrestation en masse par la police vietnamienne de manifestants contre l’expansionnisme chinois, ainsi que de nouvelles condamnations de blogueurs.

J’ai eu envie de comprendre, je me suis rapprochée de ceux qui consacrent leur temps aux vietnamiens les plus démunis, mais aussi d’autres qui agissent contre l’injustice faite aux plus fragiles. Je me suis rapprochée de M. André Menras, ardent défenseur des pêcheurs victimes du conflit maritime sino-vietnamien, dont l’action généreuse et désintéressée est un bel exemple pour nous, vietnamiens d’Outre-Mer.

J’ai été aussi très heureuse d’avoir pu mener à bien avec Pierric et avec l’aide de l’antenne locale de la VAVA, notre mission auprès des victimes de l’Agent Orange/Dioxine à Thanh Hoa. Nous avons, en nous rendant sur le terrain, été en mesure d’évaluer les conditions de vie difficiles des victimes et de leurs familles, et aussi d’écouter leurs témoignages émouvants. Depuis notre retour en France (démocratie dont rêvent beaucoup de mes compatriotes), je continue d’agir — dans un esprit de total bénévolat — pour une information objective et pour la reconnaissance par l’opinion publique des dérives de l’industrie agrochimique alimentaire en général et de l’utilisation inconsidérée de ces produits chimiques toxiques qui nous empoisonnent au quotidien... jusque par le contenu de nos assiettes.
Je veux y consacrer mon énergie et ma bonne volonté tout en continuant de suivre l’évolution politique du Vietnam vers cette indispensable transition que je souhaite aussi douce que rapide.
Les fonds que nous récoltons sont utilisés à 100% au profit des victimes sous forme, en particulier, de crédits sans intérêts, immédiatement réaffectés après remboursement, qui permettent à des victimes moyennement handicapées de trouver un place dans la société et de devenir autonomes et auto-suffisantes.

Thi-Hien Tran et Pierric Le Neveu - www.faaod.fr - Paris, novembre 2014.

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