L’ingérence italienne pourrait avoir réussi à diviser le pouvoir brésilien. A quelques mois des élections Cesare Battisti est dans les Rafales à vendre. Mais la réponse de Lula est politique :
Au Brésil la mémoire des années de plomb revient sur le devant de la scène ; (Le Monde numérique, 12 janvier 2010).
JUSTICE D’EXCEPTION, REFUGE, AMNISTIE,
NE SONT PAS DES QUESTIONS DE MORALE MAIS D’ETHIQUE
Les juridictions d’exception font face aux états d’urgence de la violence civile individuelle ou collective, ou à la sédition du pouvoir. Par définition elles ne sont pas imprescriptibles ; exception, car elles suspendent un moment la règle de référence (lois démocratiques, républicaines, conventions internationales, ou autres). Le bilan du refuge et de l’extradition des Italiens en France, depuis 1985 puis après 2002, jusqu’à la relaxe de Marina Petrella en octobre 2008, par laquelle le président français (contradictoirement de son exécution sous le mandat présidentiel de son prédécesseur) la sauve de la mort, ce qui pourrait installer une nouvelle doctrine n’accréditant plus ces demandes de l’Italie, s’évalue d’abord à l’anomalie [1] que 25 ans après la réunification civile de l’Italie, l’amnistie à propos des années de division n’ait toujours pas eu lieu.
Dans une société la morale est réduite à la croyance, l’éthique est à l’échelle des évaluations relatives. L’éthique est le comportement adapté en politique moderne. Dans la politique actuelle, si l’éthique avait encore une signification symbolique — et si elle n’en a plus alors qu’est le politique ? — en dépit du jeu de passe-passe juridictionnel et judiciaire exécutif français à partir de 2002, alors l’échange de "la parole donnée", parce qu’elle aidait extérieurement la paix dans l’Italie encore surchauffée par les passions mais soucieuse d’intégrer l’Europe (et pour cette raison allait être négociée avec le Président du Conseil italien de l’époque dans le respect des souverainetés respectives), devrait être imprescriptible, tant que l’amnistie des activistes des années de plomb ne fût pas devenue la réalité de toutes les parties opposées survivantes, en Italie.
Autrement, il faut le relais de personnalités élues particulièrement charismatiques et déterminées face à la tendance — que parfois elles ont contribué à instaurer tel Mitterrand (il a prescrit le devoir d’insoumission des droits de l’homme en France, pour correspondre au droit européen, il a fait juger les activistes de choc d’Action Directe par un tribunal spécial d’Assises), Lula (il a fait intégrer son pays dans l’économie de marché) — Sarkozy, au contraire se retournant en seconde phase (sensible au contre-versant italien de sa nouvelle épouse)... Relais rares, de plus en plus rares, dans le flux des législations arbitraires et le reflux des conventions internationales, chaque jour contournées par les réseaux.
C’est pourquoi il convient de poursuivre de réclamer une déclaration publique d’amnistie. Elle seule prescrit les divisions parce qu’elle prescrit sans résoudre, entre autre, ce qui demeure impossible à résoudre... Mais chacun sait que l’Italie actuelle est éloignée de cette éventualité, puisque les partis descendants de l’extrême droite impliquée dans les attentats de masse à la bombe, pendant les années de plomb, y gouvernent à l’instant même.
Il reste que l’amnistie ne soit pas qu’une idée singulière française, mais également celle de parlementaires italiens ; la direction du Parti Radical (pourtant libéral) l’a réclamée à plusieurs reprises, notamment quand le gouvernement Prodi succéda au gouvernement Berlusconi, au moment de la mort de Jean-Paul II qui avait demandé au nouveau parlement la clémence, en 2005, Giacinto Pannella (Marco) engagea une grève de la faim et de la soif pendant deux semaines, soutenu par la confédération intersyndicale COBAS, et en France par Oreste Scalzone qui entreprit une grève solidaire. En vain.
Scalzone, dans son ouvrage Vademecum [2], publié en 2006, à propos de Persichetti revenait sur son idée de l’amnistie italienne, trouvant un modèle pragmatique dans la campagne de réconciliation sud-africaine, après l’élection de Mandela. Quelques mois avant l’arrestation de Marina Petrella, en 2007, il relança l’idée [3]. Elle est toujours d’actualité et le resterait y compris dans le cas où les réfugiés éprouveraient la certitude définitive de ne plus être inquiétés (ce qui est toujours improbable dans une époque post-politique, à géométrie variable).
En effet, est-il concevable que les réfugiés soustraits à l’extradition ne puissent jamais retourner en Italie où se trouvent encore des membres de leurs familles — et parfois leurs enfants d’une première union ? De plus, serait-il imaginable qu’ils voyagent à l’étranger, pour des raisons professionnelles ou personnelles, sans risquer de tomber dans un nouveau piège (on a bien vu le cas de Roman Polanski arrêté en Suisse, pour être extradé vers les Etats-Unis, bien qu’il ait la nationalité française) ?
L’éthique du refuge et l’éthique de l’amnistie sont les données respectives des souverainetés bilatérales ; elles donnent l’échelle de leurs alliances ou de leurs allégeances, car elles se modèrent dialectiquement ensemble (et elles s’équilibrent), ou elles se plagient — se renforçant dans leurs extrêmes.
ANNÉES DE PLOMB
(1969-1985)
C’est une expression éponyme du film allemand Die Bleierne Zeit (1981) de Margarethe von Trotta, à propos de l’histoire de Fraction armée rouge (RAF), groupe de l’historien Andreas Baader et de la journaliste Ulrike Meinhof demandant des comptes sur les anciens nazis restés actifs en Allemagne Fédérale (fondation en 1968, après l’assassinat d’un manifestant par balle à l’acte d’un policier, pendant les mouvements de protestation contre le Shah d’Iran, à Berlin Ouest) ; ils font des émules dans d’autres pays, chacun avec une singularité de ses cibles. Les groupes les plus connus : Action Directe, en France (fondation en 1977), Brigades Rouges, en Italie (fondation en 1970 répondant à la "Stratégie de la tension" [4] après l’attentat de la Piazza Fontana et la défenestration policière du cheminot anarchiste Pinelli), Armée Rouge Japonaise (1970), Weathermen, aux Etats-Unis (1969). Les années de plomb recouvrent un peu plus d’une quinzaine d’années, avant la dernière décennie du siècle dernier.
Dans les sociétés occidentales cet activisme correspond à un moment intense des luttes sociales du monde consumériste du capitalisme industriel, au moment où passant à son état post-industriel il se délocalise et effectue sa reconversion financière, après la seconde moitié du XXe siècle, avant la réalisation mondiale de l’économie de marché. La guerre froide toujours en vigueur au moment des années de plomb justifie les dernières guerres coloniales impérialistes, et la réponse de la quête d’autonomie justifie les derniers nationalismes révolutionnaires. La guerre du Viêt Nam s’achève en 1975 par un armistice au crédit des forces de résistance victorieuses, ce qui nourrit l’idéologie de la lutte de classe armée dans les pays occidentaux.
Or en 1973 c’est le premier choc pétrolier, dû à l’embargo des pays arabes producteurs de pétrole, contre les pays qui soutiennent Israël dans sa guerre à l’Egypte et à la Syrie, dite Guerre du Kippour. Soit une raréfaction du brut et son prix augmenté de 70% par l’OPEP. Cette situation va provoquer un changement sécuritaire offensif de la stratégie américaine en économie et en défense prospectives, alternative qui succèdera à la guerre froide. G.H.W. Bush nommé directeur de la CIA de 1975 à 1976 appelle des scénarios de l’appropriation des ressources (qui règneront y compris dans le partage mondial des grands marchés lors des accords du GATT en 1994) et des guerres futures de ce monde nouveau, et les fera simuler en laboratoire par des équipes qualifiées *. D’autre part, en toute logique, il fera armer l’intégrisme iranien contre la dictature irakienne. Puis la France armera l’Irak contre l’intégrisme iranien (Rouhollah Khomeini renverse le Shah Mohammad Reza Pahlavi en 1979). C’est en France l’invention d’un concept simpliste d’autonomie énergétique, pour la production nucléaire de l’électricité nationale (Giscard d’Estaing). Les premières luttes écologiques commencent. Le parti vert allemand s’installe et confirme son succès avec un double impact politique sur la société et sur l’environnement.
Ce sont les années du jouir sans entrave, de la libération sexuelle, de la réalisation des désirs — la révolution du désir et le désir de révolution en occident.
Les années de plomb c’est le désordre contre la loi et le désordre de la loi, tout se fragmente, puis s’infiltre (il y a les infiltrés de l’intérieur et les infiltrés de l’ingérence). Le terme ne qualifie pas seulement l’activisme anticapitaliste des organisations armées auto-défensives, défensives, ou séditieuses, ou solidaires des combattants armés, ou solidaires du terrorisme résistant des peuples opprimés (Palestine), ou encore les provocations meurtrières pour tenter de les compromettre ou dissuader le mouvement populaire de les suivre, ni les crimes et les meurtres commis de part et d’autre, ni enfin les assassinats qui eurent lieu dans les prisons (cas éventuel de la mort de quatre des principaux membres de Fraction armée rouge (RAF), considérés comme suicidés en détention, en Allemagne, finalement révélée par une survivante)... Ce sont des années de contestation absolue du parlementarisme, des partis, du syndicalisme réformiste, par l’autonomie politique activiste.
Les années de plomb qualifient pour beaucoup les dernières années de la lutte des classes à l’égide du marxisme et de l’anarchisme révolutionnaires, face aux transformations stratégiques et aux réactions du pouvoir en post-modernité, au titre desquelles les dernières grandes grèves ou les violences ont lieu, ainsi que les manipulations et les Coups d’Etat pour les empêcher (par exemple les attentats à la bombe en Italie, le Coup d’Etat du Général Pinochet contre le gouvernement marxiste d’Allende au Chili — 1973 — ou encore les trois juntes successives de 1976 à 1983 en Argentine autant contre les Montoneros — Peronistes para-militaires — que contre l’ERP — Armée révolutionnaire du peuple — [5]). Ce sont aussi bien les années des contre-révolutions et de la torture généralisée par les dictatures armées de la "guerre sale" en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, principalement manipulées par la CIA contre le développement des démocraties populaires **.
Le capitalisme de la production à l’apogée de sa capacité sociale, avec la transformation de ses producteurs en consommateurs, subit un mouvement de libération général qui explose à la fin des années 60 partout dans le monde. Il réplique en se préparant à sa phase vectorale ; il commence à se délester de ses propriétés productives, moyens de production et force de travail, trop coûteuses pour ses profits. Il rompt avec les conventions collectives acquises des luttes ouvrières qu’il considère aux dépens de la plus-value, laissant pour compte de sa reconversion boursière et du courtage des holdings le prolétariat et les employés. Déjà les pouvoirs parient sur le chômage annoncé comme l’effet du progrès technologique réducteur des domaines du travail, et du partage mondial égalitaire et solidaire des avantages de la production ; à cette époque ce n’est pas informé comme une quête d’accroissement du profit, ni médiatisé comme l’information négative d’une raréfaction de l’emploi, mais bien considéré dans les sociétés consuméristes comme une conséquence positive du progrès moderne ascensionnel (ainsi le tiers monde à son tour connaîtrait la production industrielle en commençant par le bas de l’échelle sociale du prolétariat de la société mondiale, première phase des rapports sociaux qui ne manqueraient pas d’exhausser la planète entière jusqu’au stade consumériste à l’image du modèle occidental idéal, par un processus trans-historiquement accéléré de celui-ci) : le monde aurait encore du progrès en commun à échanger devant lui... Ainsi allait l’idéologie dominante de la fin d’un cycle et de son changement, son système, son absurdité.
GUERRE CIVILE DE BASSE INTENSITÉ EN ITALIE
ET DOCTRINE PACIFIQUE EN FRANCE : LA PAROLE DONNÉE
L’Italie, en plein progrès social, solde sa grande industrie ce qui installe une récession et un sentiment d’injustice économique qui provoquent le retour des revendications révolutionnaires syndicales ; sous le coup des services secret de l’OTAN durcis par la guerre froide, dont l’Italie est un poste clé des Etats-Unis face au bloc communiste, et l’organisation Gladio *** son ingérence secrète dans l’Etat italien, le mouvement de revendication et son opposition structurent une division civile de la population qui s’arme en auto-défense, organisations syndicales et activismes révolutionnaires face à une opposition néo-fasciste parfois soutenue par une partie de la police et de l’armée, qui commet des attentats de masse à la bombe, avec l’alliance mafieuse et séditieuse de la Loge P2 et l’aile droite de la Démocratie Chrétienne (qui tiennent leurs prolongements financiers au Vatican). A quoi se mêle l’ingérence criminelle du réseau Condor qui requiert les milieux fascistes à la recherche d’activistes fuyant les dictatures d’Amérique du Sud (b). Guerre civile dite "de basse intensité" (tant la guerre de harcèlement et d’usure faite à la population et à la gauche activiste que le système de réplique de celle-ci, aléatoire, puis organisé en résistance) qui dans son temps prolongé, et son extension sur le territoire national, s’avère particulièrement irréductible [6].
Sur 2000 blessés et environ 400 morts au long de ces années en Italie, moins de 130 victimes au total ont été attribuées à la gauche par la justice elle-même. (Voir un dénombrement approchant dans la recension de Mathieu Lebeau, publiée dans L’Express du 25/03/2002). Un tel bilan paraît faible comparé aux bilans du monde globalisé que nous avons du connaître depuis, celui de l’effondrement des tours jumelles le 11 septembre 2001 (près de 3000 morts), celui de la guerre d’Irak (655 000 morts irakiens), ou le Tsunami de 2004 (plus de 200 000 morts), ou encore l’ouragan Katrina (plus de 1000 morts) ; mais dans le cadre de la vie ordinaire à un moment plutôt faste économiquement en Europe, le bilan italien, auquel il faudrait ajouter les blessés qui survivent avec des séquelles, désigne un conflit social suffisamment important, épars au long de plusieurs années, pour qu’on ose utiliser les mots de guerre civile.
La menace ressentie est d’abord celle du pouvoir, qui craint de basculer sous l’alliance improbable du centre gauche de la Démocratie chrétienne avec les communistes, dans un pays européen sous la domination de la Défense américaine, qui ne peut donc pas le réaliser. L’autre menace est celle du prolétariat qui le sait — qui sait qu’il entre dans sa phase de reconversion sous la menace de la disparition de son rapport de force de classe (basé sur la masse). En 1978, l’enlèvement et l’assassinat de l’artisan officiel du "compromis historique" Aldo Moro, par des membres des Brigades Rouges infiltrées, dans une action influencée par les services secrets (aujourd’hui révélée par deux personnalités parmi ses acteurs mêmes qui citent l’atlantiste Andreotti (qui succèdera à Moro), le ministre de l’intérieur de Aldo Moro, Francesco Cossiga, et Steve Pieczenik envoyé des Etats-Unis pour infiltrer ce ministère) [7], scelle le désespoir d’une alternative gouvernementale possible, trouvant au contraire l’unité du consensus parlementaire pour la répression brutale et systématique des activistes armés.
Ces années s’achèvent avec l’état d’urgence et les grands procès aux juridictions spéciales de 1983, par l’incarcération d’au moins 6000 activistes (compte tenu de ceux qui avaient été arrêtés auparavant) dont 4000 de toutes les organisations subversives de gauche, des syndicalistes aux bandes armées, sont condamnés fermement, un grand nombre à perpétuité. Au contraire, très peu d’activistes d’extrême droite ou d’organisations séditieuses comme la Loge P2 se retrouvent dans cette situation. Pourtant les attentats qui leur sont ou leur seront attribués sont déjà bien connus, parmi lesquels : L’attentat à la bombe de la Piazza Fontana (banque de l’agriculture) à Milan, 16 morts et plus d’une centaine de blessés (1969), l’attentat à la bombe de la manifestation de Brescia, 8 morts (1974), l’attentat à la bombe dans le train Italicus, 12 morts (1974), l’attentat de la gare de Bologne, 85 morts et plus de 150 blessés (1980), l’attentat à la bombe dans le train Naples-Milan, 15 morts (1982), sans compter les assassinats individuels en pleine rue ou au domicile des syndicalistes. Selon les statistiques du Ministère italien de l’Intérieur, 67,55 % des violences (rixes, actions de guérilla, destructions de biens) commises en Italie de 1969 à 1980 sont imputables à l’extrême droite. [8]
Après l’attentat meurtrier de la synagogue de la rue Copernic ****, le 3 octobre 1980, à Paris, la France alors extérieure à l’OTAN (du moins sans ingérence américaine dans sa démocratie électorale directe) peut au contraire connaître la victoire du Front Commun, en 1981, qui donnera lieu à l’expérience social-démocrate de l’alliance communiste et socialiste, avant la réalisation néo-libérale. Cette situation privilégiée de l’opinion française face à l’insoumission que sa culture tolère permet encore d’accueillir en nombre des activistes italiens de gauche (des activistes de droite fuiront vers l’Angleterre et vers le Japon) ; le président Mitterrand se veut l’artisan de la réalisation européenne ; informé de l’injustice notoire du nombre des condamnations des activistes de gauche, dans le cadre d’enquêtes et de tribunaux expéditifs, sans amnistie annoncée dans un avenir proche (étant données les implications et les compromis de l’OTAN du Vatican et du principal parti politique italien avec l’extrême droite et la Mafia), pense que la France peut être utile au rétablissement de la paix civile en Italie, si les activistes de gauche qui veulent fuir les armes arrivent dans un pays d’accueil où ils ne sont pas menacés en tant que réfugiés désarmés.
La France se trouve encore sous la charte des droits de l’homme républicains, annexés à la Ve constitution par le grand insoumis de la seconde guerre mondiale que fut le Général de Gaulle, qui rétablit le devoir citoyen d’insoumission dans certain cas, issu de la constitution révolutionnaire de 1793, et dont le corollaire logique de sortie de crise est l’amnistie — elle a servi à rétablir la paix civile en France après la guerre, elle sert encore à rétablir la paix civile en France après la guerre d’Algérie. Paradoxe dans la situation européenne cadrée par une charte des droits de l’homme issue de la convention du Conseil de l’Europe à Rome en 1950 [9], à l’instar de ceux de l’ONU inspirés par Eleanor Roosevelt qui n’entend pas la pertinence possible d’un désordre quel qu’il soit (aux Etats-Unis la démocratie est entendue comme un régime universellement juste, dans une conception politique qui reste finaliste, et ne peut donc pas se tromper, pourvu que le descriptif des droits soit clair et exhaustif : l’insoumission individuelle est au mieux inutile et au pire n’est pas tolérée ; le modèle fondateur de l’Europe n’est pas un modèle de démocratie républicaine mais un modèle de démocratie fédérale hors cadre (puisqu’elle n’est pas une fédération des anciennes nations) avec une règlementation économique en place de pouvoir politique, centrée par des directives uniques — où le néo-libéralisme fera son lit) ; les droits de l’homme français seront modifiés dans ce sens à la demande des partenaires européens en 1989.
En 1985, le président Mitterrand requiert de sa présidence constitutionnellement exécutive d’admettre des réfugiés politiques, il y ajoute une condition : selon un échange de promesse de leur part qu’ils ne poursuivent pas d’activité subversive. C’est le protocole de "la parole donnée".
La Parole donnée est réputée assumée par ceux qui ayant rejoint la France sous la présidence précédente se sont pacifiquement intégrés.
Ainsi le Président Mitterrand ne déjuge pas son prédécesseur sur ce point du droit français (le refuge des insoumis en toute cohérence des droits de l’homme en vigueur). Giscard d’Estaing lui-même comme auparavant Pompidou ont accueilli les réfugiés activistes de gauche des dictatures d’Amérique du Sud dont celle de la Junte brésilienne et celle du Général Pinochet — bien que la France soit compromise par un ancien de l’OAS, instructeur mercenaire de la torture et des suppression collectives en vol, en Argentine —, mais il y a aussi l’accueil des réfugiés contestataires des républiques du pacte de Varsovie. Ou simplement des personnalités religieuses fuyant la prison à perpétuité ou la peine de mort dans leur pays natif tel l’Ayatollah Khomeiny dans son derniers parcours d’exil contre le Shah (pourtant ami de la France) à la fin des années 70 — il rentre en Iran en 1979. Parmi ces réfugiés, de nombreux artistes, écrivains et poètes contemporains étant des personnalités des avant-gardes post-modernes poursuivent ou inaugurent en France leurs carrières internationales et deviennent des stars qui caractérisent la culture critique française et la pensée de l’essai des années Pop, dans leur différence avec le mouvement américain du Pop Art. La culture Punk la critiquera à leur tour, croisant le dé-constructivisme, le situationnisme et les alignant dans la mise à plat de l’histoire sans future, sous l’aspect d’une palette requérant toutes les avant-gardes de la modernité rassemblées, et pour en marquer le terme.
Cette proposition d’ouverture dans la tradition de la pensée critique française constitue la Doctrine Mitterrand. Destinée à aider la paix en Italie elle doit aussi protéger d’une revendication de poursuite par la justice italienne les réfugiés ainsi accueillis en France. Elle est donc négociée en commission entre le Président Mitterrand et le Président du Conseil italien de l’époque, le socialiste Bettino Craxi. Ils informent publiquement leur rapport lors d’une conférence de Presse commune le 22 février 1985 [10] :
Les principes d’actions sont simples à définir. Ils sont souvent moins simples à mettre en oeuvre. Il s’agit du terrorisme qui est par définition clandestin ; c’est une véritable guerre. Nos principes sont simples. Tout crime de sang sur lequel on nous demande justice — de quelque pays que ce soit et particulièrement l’Italie — justifie l’extradition dès lors que la justice française en décide. Tout crime de complicité évidente dans les affaires de sang doit aboutir aux mêmes conclusions. La France, autant que d’autres pays, encore plus que d’autres pays, mène une lutte sans compromis avec le terrorisme. Depuis que j’ai la charge des affaires publiques, il n’y a jamais eu de compromis et il n’y en aura pas. Le cas particulier qui nous est posé et qui alimente les conversations, est celui d’un certain nombre d’Italiens venus, pour la plupart, depuis longtemps en France. Ils sont de l’ordre de 300 environ — plus d’une centaine était déjà là avant 1981 — qui ont d’une façon évidente rompu avec le terrorisme. Même s’ils se sont rendus coupables auparavant, ce qui dans de nombreux cas est probable, ils ont été reçus en France, ils n’ont pas été extradés, ils se sont imbriqués dans la société française, ils y vivent et se sont très souvent mariés. Ils vivent en tous cas avec la famille qu’ils ont choisie, ils exercent des métiers, la plupart ont demandé la naturalisation. Ils posent un problème particulier sur lequel j’ai déjà dit qu’en dehors de l’évidence — qui n’a pas été apportée — d’une participation directe à des crimes de sang, ils ne seront pas extradés. Cela je l’ai répété à M. le Président du Conseil tout à l’heure, non pas en réponse à ce qu’il me demandait mais en réponse à un certain nombre de démarches judiciaires qui ont été faites à l’égard de la France. Bien entendu, pour tout dossier sérieusement étayé qui démontrerait que des crimes de sang ont été commis ou qu’échappant à la surveillance, certains d’entre eux continueraient d’exercer des activités terroristes, ceux-là seront extradés ou selon l’ampleur du crime, expulsés.
Le 21 avril 1985, à l’occasion du 65e congrès de la Ligue des droits de l’homme, le chef de l’Etat, François Mitterrand, répète :
Prenons le cas des Italiens, sur quelque trois cents qui ont participé à l’action terroriste en Italie depuis de nombreuses années, avant 1981, plus d’une centaine sont venus en France, ont rompu avec la machine infernale dans laquelle ils s’étaient engagés, le proclament, ont abordé une deuxième phase de leur propre vie, se sont insérés dans la société française, souvent s’y sont mariés, ont fondé une famille, trouvé un métier... J’ai dit au gouvernement italien que ces trois cents Italiens... étaient à l’abri de toute sanction par voie d’extradition [11]...
RESPECT ET TRAHISON BILATÉRAUX
En 1989, la présidence du Conseil de l’Union l’Européenne revient à la France leader dans plusieurs commissions européennes et internationales et qui fête ainsi le bicentaire de la révolution française... mais aussi d’une étrange façon : en supprimant la clause d’insoumission dans les droits de l’homme annexés à la constitution nationale, tout en mentionnant auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme la réserve protectionniste sur les réfugiés italiens. Quelques incertitudes planent quand le gouvernement Balladur confie la nouvelle Présidence française du Conseil de l’Union à Alain Juppé, en 1995. C’est pourquoi Lionel Jospin devenu premier ministre, ne diffère pas de faire ré-informer le dossier dans les archives de la Cour Européenne, en 1997, avec la liste des noms mise à jour en 1998, au moment du Presidium allemand (socialiste) ; et de le rappeler en 2000, au moment du déménagement de la Cour à Strasbourg, quand revient le tour français, présidé par Hubert Védrine.
Mais en 2003 c’est le tour de l’Italie gouvernée par Silvio Berlusconi, dont les émissaires cachés sous Prodi se chargent de faire retirer les pièces, alors que le président Chirac vient d’être élu à une large majorité contre le Front national (un an auparavant) ce qui vient de lui permettre de former un gouvernement sans cohabitation de gauche.
La victime inaugurale du dépassement inique de cet accord sera Paolo Persichetti, arrêté et quasiment enlevé pour être remis aux italiens, en août 2002, alors que la dispersion citoyenne en période de vacance estivale ne permet pas d’organiser des protestations démonstratives ni de recours auprès des élus... On sait l’impact du 11 septembre 2001 sur les nouvelles règles de sécurité internationales à l’égide du Patriot Act américain, dans le cadre desquels la pression italienne — assortie de l’opportunité de grands marchés — put s’exercer avec succès face à l’opinion sous le second mandat de Jacques Chirac, président de la république par lequel, contre toute loyauté politique, l’extradition soudaine des italiens sera déclarée "Raison d’Etat" par le Parquet à propos de Battisti : donc sans explication, sans appel, et irrévocable.
De ces dispositions, alors que la France n’a pas encore réintégré l’OTAN, on remarque une contradiction essentielle de la décision des extraditions avec la position de la France par la voix de Dominique de Villepin à l’ONU, déclaré contre la guerre d’Irak (la troisième guerre du golfe), sur l’ordre du Président Chirac (qui le confirme ensuite par son refus d’envoyer des troupes) exhortant à voter et votant contre, à la fin de la même année et au début de 2003. La décision infra-européenne d’extrader fut probablement et principalement opportuniste et arbitraire, en tous cas en dehors d’une cohérence symbolique de la singularité française en politique, pourtant encore active à propos de la guerre d’Irak.
LES FAITS INIQUES
« Le Conseil d’État – Ordonnance du juge des référés – Assemblée du contentieux no 273714 – Séance du 11 mars 2005 – Lecture du 18 mars 2005 – M. BATTISTI » [12]
« Considérant que, si le requérant invoque les déclarations faites par le Président de la République, le 20 avril 1985, lors du congrès d’un mouvement de défense des droits de l’homme, au sujet du traitement par les autorités françaises des demandes d’extradition de ressortissants italiens ayant participé à des actions terroristes en Italie et installés depuis de nombreuses années en France, ces propos, qui doivent, au demeurant, être rapprochés de ceux tenus à plusieurs reprises par la même autorité sur le même sujet, qui réservaient le cas des personnes reconnues coupables dans leur pays, comme le requérant, de crimes de sang, sont, en eux-mêmes, dépourvus d’effet juridique ; qu’il en va également ainsi de la lettre du Premier ministre adressée, le 4 mars 1998, aux défenseurs de ces ressortissants. »
La question de vie et de mort des ressortissants réfugiés, envoyée comme une balle de set dans les nouveaux échanges de marché franco-italiens, au moment du second septennat de Jacques Chirac sans cohabitation, ne leur offrait pas d’autre voie que la fuite perpétuelle, ou la "perpète" éternelle. Sauf accident.
- Jacques Chirac en novembre 2006
- Photo sous Creative Commons, Attribution-Share Alike 3.0 Unported, dans les mêmes conditions de gratuité et sans altération, extraite de l’article Jacques Chirac de fr.wikipedia : Description, Mr Jacques Chirac, président de la République, cérémonie du 11 novembre 2006 à Paris. Source, Photo taken by Remi Jouan. Date, Novembre 2006.
Author, Remi Jouan.
Le 26 août 2002 Paolo Persichetti alors enseignant en poste d’ATER à l’université de Paris 8 est arrêté et expéditivement extradé — remis aux autorités italiennes à la frontière — autrefois accusé par un repenti d’avoir commis l’assassinat du général de l’aviation italienne Licio Giorgeri. Dans les mois qui suivent il est jugé et intégralement lavé de cette accusation, mais il ne se retrouve pas relaxé de sa peine d’emprisonnement pour autant ; en fait, son ancien activisme dans le cadre de l’Union des Communistes Combattants resterait donc le reproche majeur, justifiant, sous diverses accusations relatives à une bande armée, une réclusion ciminelle de 25 ans, puis de 17 ans (puis de 12 ans ?)... Sauf information contradictoire nouvelle, actuellement il ne serait encore qu’en semi-liberté conditionnelle (depuis 2008), c’est à dire devant réintégrer la prison chaque soir après son travail.
Voici le tour de Cesare Battisti en février 2004, arrêté puis sous la pression de l’opposition réactive, remis en liberté conditionnelle pour attendre la fin de sa procédure d’extradition, au titre de cinq meurtres qu’il aurait commis. Subissant des menaces de plus en plus précises de la part d’activistes néo-fascistes et de journalistes italiens qui assaillent son domicile, pour sa sécurité il va vivre chez d’autres personnes, où sa protection physique est amicalement assurée. Le 2 juillet 2004, le président Chirac déclare qu’il n’a pas l’intention de s’opposer à l’extradition, puis le Garde des Sceaux, Dominique Perben, confirme le changement officiel en ces termes : « Il n’y a pas d’ambiguïté. Il y a un changement d’attitude de la part de la France et je l’assume » (en référence à la doctrine Mitterrand) [13]. Le 8 juillet 2004, le gouvernement retire le décret d’application concernant la naturalisation de Cesare Battisti, qui était en passe d’aboutir suite à une procédure débutée en 2001. Le 21 août 2004, Cesare Battisti se souvient du désert estival dans lequel l’enlèvement de Persichetti vers l’Italie put avoir lieu sans protestation collective, quelques années auparavant ; il se soustrait au contrôle judiciaire et passe dans la clandestinité. Grâce à des faux papiers remis par d’anciens agents des services secrets français respectueux de la parole donnée, et à un itinéraire qu’ils préparent et balisent avec des réceptionnistes informés, il arrive sous un faux nom au Brésil et va résider à Rio de Janeiro, où il sera néanmoins arrêté avec la complicité de la police française, dépêchée sur place, le 18 mars 2007.
Entre temps il s’est désolidarisé de la défense unie (Fred Vargas le rappelle dans ses réponses à Olivier Favier) — et il a raison puisque son cas est le plus accablant de tous. Il dit à ses amis qu’il n’a pas commis ces crimes, il explique qu’il a signé des procurations en blanc à ses camarades restés sur place... Et en effet, les procurations dûment remplies réapparaissent dans le dossier à charge remis par l’Italie à la justice française, où ceux qui ont accès aux pièces y découvrent les écritures en faux. Mais cela ne change rien à la détermination du Parquet.
C’est rituellement dans la torpeur parisienne, à la fin du mois d’août, que les actions extraditionnelles contre les Italiens de la parole abusivement reprise ont lieu : le 21 août 2007 vient le tour de Marina Petrella, accusée de meurtre, en complicité, par défaut de délation contre le meurtrier du commissaire Calabresi en 1972, responsable hiérarchique avéré de la défenestration d’un innocent après l’attentat de la Banque de Milan, en 1969, Giuseppe Pinelli — déjà cités dans la première partie de cette recension, car ce sont les actes par lesquels on peut dire que la guerre civile commença. Ce qui la sauverait de la prison à perpétuité ne pourrait être que le suicide — ce n’est pas un chantage puisque ce choix se fonde sur la conviction qu’il n’y ait aucun espoir de changement franco-italien pour révoquer l’extradition — ; ce qui la sauve de l’extradition, c’est que la lenteur d’une agonie annoncée — dont les irlandais donnèrent l’exemple jusqu’à la mort, devant l’intransigeance du pouvoir Thatcher — manifestation de l’activisme ultime, celui qui fait de l’injustice et de la justice une question de vie ou de mort — et de le démontrer à l’acte de son propre corps. Alors qu’elle atteint le stade de devoir subir des perfusions, elle les supporte passivement en n’y accrochant pas de retour, elle déclare à son compagnon "prépare-toi, c’est un cadavre qu’ils remettront". Détermination depuis laquelle son avocate Irène Terrel est reçue par le Président Sarkozy.
Que les soeurs Bruni Tedeschi, sympathisantes ou pas, soient intervenues auprès du Président pour éviter le pire (pourquoi pas et tant mieux), c’est de toutes façons alertées par la grève de la faim et de la soif de Marina Petrella, alors qu’elle a déjà dépassé la limite réversible du préjudice corporel, qui porte son cas d’extradition au-delà des conditions humanitaires acceptables dans les pays cadrés par les droits de l’homme, au moment où la France préside la Commission européenne [14] en se voulant exemplaire...
Si l’épouse du Président se déplace personnellement avec sa soeur au chevet de la prisonnière, c’est une question de jour afin d’empêcher le processus de mort physiologique dans lequel celle-ci s’est engagée — pour qu’il ne soit pas irréversible, pour la convaincre dans sa langue même que son calvaire de l’extradition est vraiment prescrit — pour qu’elle puisse avoir envie de vivre, et déclencher qu’elle parvienne à s’alimenter de nouveau.
Aujourd’hui on imagine Marina Petrella libre auprès de son compagnon et de leur fille — probablement sous protection pour éviter des malveillances à son encontre — mais personne n’oserait imaginer que sa santé soit totalement rétablie.
OU EST L’ISSUE ?
Mitterrand : « [...] Nous avons environ 300 Italiens réfugiés en France depuis 1976 et qui depuis qu’ils sont chez nous, se sont “repentis” et auxquels notre police n’a rien à reprocher. Il y a aussi une trentaine d’Italiens qui sont dangereux mais ce sont des clandestins. Il faut donc d’abord les retrouver. Ensuite ils ne seront extradés que s’il est démontré qu’ils ont commis des crimes de sang. Si les juges italiens nous envoient des dossiers sérieux prouvant qu’il y a eu crime de sang, et si la justice française donne un avis positif, alors nous accepterons l’extradition. [...] »
Paradoxalement, les réfugiés dont le gouvernement français récent et moins récent a finalement accepté l’extradition en France n’étaient pas des clandestins, et le principe de leur refuge, en toute connaissance de cause du pays d’accueil, était corrélatif au doute sur les accusations portées par des juridictions spéciales à chaud, condamnant à la prison à perpétuité pour des meurtres portés aux enchères, et qui finissent souvent par l’oubli des abus d’un seul côté, plutôt que par l’amnistie collective.
Entre 1985 à 2001, aucune des accusations de crime de sang accablant chacun de ces trois réfugiés n’avait été considérée comme incontestable à leurs yeux, quoique toutes réputées dépassés par la parole donnée ; ce n’était pas seulement la question de la vérité, c’était d’abord celle de la vie et de la société. Ce n’était pas seulement la question du témoignage des repentis en rémission de peine, mais encore celle de la délation forcée sous la torture ou le chantage et celle des fausses preuves. Et la réalité telle qu’on peut l’éprouver aujourd’hui, c’est qu’aucun de ces trois réfugiés ne reconnaît avoir commis de crime de sang lui-même, mais sans pouvoir jouir d’un nouveau procès pour le défendre.
Il n’y a pas d’ambigüité sur les trois premiers réfugiés qui ont servi de boucs émissaires ; si Persichetti comme Battisti et Petrella n’étaient pas des réfugiés anonymes ni sous une fausse identité, de la même manière il y avait une réserve sur la doctrine au titre de laquelle le gouvernement italien avait déjà fait une première demande d’extradition pour chacun des trois, car il avait été officiellement débouté par le gouvernement français. Sous la présidence Mitterrand : Persichetti [15] — révocation présidentielle en 1995 d’une extradition signée par Edouard Balladur en 1994 après qu’il ait fait arrêter Persichetti en 1993 et l’ait maintenu en prison ; Battisti [16] — rejet de la demande d’extradition après 5 mois de prison à Fresnes, en 1991 ; et sous la présidence Chirac : Marina Petrella — rejet de la demande d’extradition en 1994... accueillie sous sa véritable identité dès son arrivée en 1993, pour fuir sa condamnation à perpétuité en Italie, elle avait repris ses études et était devenue une travailleuse sociale, en toute connaissance de cause des autorités françaises.
Si Persichetti devait encore être jugé, Battisti et Petrella l’étaient déjà une fois pour toutes (condamnés à perpétuité dans le cadre d’un jugement par contumace) ; le rejet de leur extradition par deux arrêts : les lois adoptées en Italie contre le terrorisme allaient "à l’encontre de la conception française du droit", qui appliquait (et applique encore) notamment le principe "Non bis in idem" selon lequel aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente. Code de procédure pénale, article 368 (en vigueur depuis le 2 mars 1959). [17] La raison étant que chaque demande d’extradition voyait ses changements de titres pour pouvoir faire l’objet d’une réitération de la demande pour les mêmes faits, alors qu’elle avait déjà été jugée en France.
Quant à la Parole donnée en France, il ne s’agit pas de celle du président Mitterrand mais de celle des réfugiés : l’ont-ils trahie ? Ont-ils récidivé de s’armer en France ? Non. Le Président Mitterrand le constatait lui-même pour la plupart des réfugiés, au moment où il évoquait publiquement la question en 1985, citant en outre ceux qui étaient déjà réfugiés sous le mandat de son prédécesseur... Certes, les trois personnes réclamées avec insistance par les italiens ne se trouvaient sûrement pas sur la première liste, puisqu’en 1985 ils n’étaient pas encore arrivés sur le territoire. Battisti est arrivé en 1990, Persichetti en 1991, Petrella en 1993. Ils font partie de la dernière vague, c’est leur point commun.
Mais depuis, étaient-ils bien intégrés ? Oui. Des années plus tard Cesare Battisti était à la fois gardien d’immeuble et romancier publié chez des grands éditeurs ; Marina Petrella rejointe par sa fille aînée était assistante sociale et vivait conjugalement avec le père français de sa seconde fille née en France ; Paolo Persichetti, enseignait en histoire avec un poste d’Ater qui suppose des diplômes en amont et ne s’obtient pas sans effort, parce que c’est précisément un des rares postes qui assure un salaire viable, quand on n’est pas titulaire d’un poste de maître assistant ou de maître de conférence.
Devaient-ils, pour autant qu’une condamnation pesât sur eux de l’autre côté des Alpes, devenir eux-mêmes des repentis ou des délateurs en dénonçant quelqu’un ?
Ce sont des juridictions spéciales aux enquêtes expéditives qui les ont jugés ou les ont fait accuser : fouilles et perquisitions sur délation, écoutes, interrogatoires sous la torture, prolongation de la garde à vue des repentis à charge, peines de prison à vie y compris contre les auteurs d’enlèvements, réductions de peine pour les repentis attestés par des dénonciations, aucun recours équitable possible une fois les jugements prononcés. A fortiori certains témoins à charge et les pièces à conviction ont disparu depuis. Quoiqu’ils aient fait on ne saura jamais quoi par des preuves ni par les témoignages convenant au droit commun.
La doctrine Mitterrand serait-elle prescrite par le Conseil d’Etat pour correspondre aux nouvelles alliances du second mandat de Chirac, mais après que Persichetti ait déjà rejoint les geôles italiennes, et Battisti découvert les geôles brésiliennes, en dépit de la Doctrine alors en cours, cela ne résoud pas la question de justice sur les réfugiés déjà nationalisés en France qui ne pourraient plus être inquiétés désormais, par rapport à l’injustice du domaine d’extension possible des prétentions italiennes sur l’ensemble des réfugiés qui ne seraient pas encore nationalisés, seraient-ils socialement intégrés.
Somme toutes, 25 ans plus tard il reste des repentis (ceux qui ont dénoncé des camarades et ont ainsi trouvé leur remise de peine) et des dissociés (ceux qui ont assumé ce dont on les accusait mais déclarant abandonner leur quête ont également obtenu des remises de peine). La justice d’exception pour solder les années de plomb n’a toujours pas été prescrite en Italie puisqu’il n’y a toujours pas d’amnistie : la page n’est pas tournée [18].
Cesare Battisti, sachant que le passé ne pouvait pas être rejugé, a fini par citer les noms des meurtriers parfaitement connus de la police et des enquêteurs pour ce qu’ils avaient réellement fait, déjà jugés (pour cela ou pour autre chose pouvant permettre de reporter leur charge sur d’autres), ils ne pourraient plus être inquiétés de nouveau pour autant. Sauf pour eux rien peut être réglé.
25 ans après il n’y a plus d’innocents ni de coupables, tant de confusions de falsifications et d’acharnement ont produit un révisionnisme en temps réel de la justice qui se voulait totale mais sous un seul point de vue, celui du pouvoir qui la mettait en application, sous les yeux de la partie de la population qui le cautionnait... Et comme les choses sont dites en France : Paolo coincé, Cesare exilé, Marina libérée, et les autres sortis de la liste d’attente (si l’on a bien compris les communications de Presse et les démarches brésiliennes de la Présidence française), nous pouvons nous réjouir que la grève de la faim et de la soif de Marina Petrella — respect — n’ait pas dû faire école : aucun dignitaire européen responsable, dans la communauté parvenue à son point de difficulté technique, économique, financier, ne pourrait exprimer la justice du déséquilibre où le porterait l’Italie, si en outre elle confirmait son visage à l’image de l’Angleterre thatcherienne, ignorant le droit face à la loi, pour un détail vestimentaire posé comme une question de dignité républicaine, par Bobby Sands et ses amis, morts dans la prison de Maze, en 1981.
Espérons que Lula, avant de partir en vacances, fera ce qu’il faut au Brésil pour nous sauver de nos petites lâchetés européennes, et que Cesare Battisti recommencera à écrire.
LES REMOUS DE LA DÉMOCRATIE REPUBLICAINE
APRÈS LA FÊTE
Je me souviens qu’à chaque élection présidentielle il y avait une AMNISTIE GÉNÉRALE (c’était son nom qui résonnait comme les clochettes dans les lampions du 14 juillet) pour inaugurer le droit de grâce présidentielle par la grâce du Président directement élu au suffrage universel ; elle comprenait l’apuration des contraventions et des petits délits, et quelques remises de peine pour des moyens délits. Chaque fois les prisons se délestaient d’un surnombre, et pour le reste, c’était comme un bon bain après les routes boueuses, un vrai bonheur ! Je ne sais pas qui a inauguré de ne plus amnistier mais ce fut une erreur. . .
Je me souviens que Jacques Chirac par deux fois nous en a privés et que son successeur nous a donné le signe qu’il dut ignorer qu’autre chose pût exister. Mais il me vient soudain à l’esprit que la première fois, ce fut peut-être François Mitterrand à l’inauguration de son second mandat qui oublia... ça fait tellement longtemps, qu’on finit par ne plus savoir qui, ni quand.
Il nous a pris le vote blanc en juin 1981, au nom de la proportionnelle implacablement juste mais elle n’a jamais existé qu’injuste : nous n’en connaissons que la version à produire le résultat du premier tour des Présidentielles de 2002 qui mena à plébisciter Chirac au second tour. On peut toujours poursuivre de réclamer qu’il soit rétabli.
L’Europe nous a pris le devoir d’insoumission devant l’infamie, ou plus simplement, le droit individuel de l’insubordination dans certaines conditions d’injustice — car les lois pour tous ne sont pas, ne peuvent pas, être exhaustives des droits ni de l’éthique. il y a toujours des circonstances aléatoires pour révéler que la règle n’est pas celle de l’autre. On peut toujours espérer qu’une occasion de nous le rendre surviendra un jour. La Doctrine Mitterrand a joué le rétablissement de l’équilibre perdu de la République avec la carte puissante de l’éxécutif de la Ve. Le coup de la Parole donnée ce n’était pas un coup de dé, ou plutôt oui, justement c’était de la haute politique de l’absurde : c’était imparable. On voit bien aujourd’hui qu’il n’y avait pas d’autre solution pour deux régions aussi différentes que l’Italie et la France en Europe ; leur propre masse critique.
Même le président Sarkozy a fini par s’y résoudre, après la plongée de Marina dans l’absolu radical qui vraiment faillit lui coûter la vie.
Mais en attendant, dans tout ça : que devient l’amnistie ?
Ce trait de culture dont nous avions fait un bien collectif précieux nous est absolument nécessaire.
Entre clémence et tolérance : les territoires de l’amnistie
L’EXTRADITION DES RÉFUGIÉS ITALIENS INDIQUE-T-ELLE UN ABANDON DU PRINCIPE D’AMNISTIE EN FRANCE ? [19]
Je voudrais juste savoir si Jean-Marc Rouillan et Georges Cipriani vont pouvoir sortir avant qu’il ne soit trop tard, c’est que la maladie gagnant du terrain, il serait temps...